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Ou est donc le theatre? Je demande a le voir, a savoir comment il est
fait et quelle figure il a. Vous imaginez-vous nos tragiques et nos
comiques d'il y a deux siecles en face de nos drames et de nos comedies
d'aujourd'hui? Ils n'y comprendraient absolument rien. Cette fievre
cabriolante, cette synthese qui sautille en petites phrases nerveuses,
tout cet art bache et poussif leur semblerait de la folie pure. De meme
que si un de nos auteurs s'avisait de reprendre l'ancienne formule, on
le plaisanterait comme un homme qui monterait en coucou pour aller a
Versailles. Chaque generation a son theatre, voila la verite. J'aurais
la partie trop belle, si je comparais maintenant les theatres etrangers
avec le notre. Admettez que Shakespeare donne aujourd'hui ses
chefs-d'oeuvre a la Comedie-Francaise; il serait siffle de la belle
facon. Le theatre russe est impossible chez nous, parce qu'il a trop
de saveur originale. Jamais nous n'avons pu acclimater Schiller. Les
Espagnols, les Italiens ont egalement leurs formules. Il n'y a que nous
qui, depuis un demi-siecle, nous soyons mis a fabriquer des pieces
d'exportation, qui peuvent etre jouees partout, parce qu'elles n'ont
justement pas d'accent et qu'elles ne sont que de jolies mecaniques bien
construites.
Du moment ou l'absolu n'existe pas dans un art, le don prend un
caractere plus large et plus souple. Mais ce n'est pas tout:
l'experience de chaque jour nous prouve que les auteurs qui ont ce
fameux don, n'en produisent pas moins, de temps a autre, des pieces tres
mal faites et qui tombent. Il parait que le don sommeille par instants.
Il est inutile de citer des exemples. Tout d'un coup, l'auteur le plus
adroit, le plus vigoureux, le plus respecte du public, accouche d'une
oeuvre non seulement mediocre, mais qui ne se lient meme pas debout.
Voila le dieu par terre. Et si l'on frequente le monde des coulisses,
c'est bien autre chose. Interrogez un directeur, un comedien, un auteur
dramatique: ils vous repondront qu'ils n'entendent rien du tout au
theatre. On siffle les scenes sur lesquelles ils comptaient, on
applaudit celles qu'ils voulaient couper la veille de la premiere
representation. Toujours, ils marchent dans l'inconnu, au petit bonheur.
Leur vie est faite de hasards. Ce qui reussit la, echoue ailleurs; un
soir, un mot porte, le lendemain il ne fait aucun effet. Pas une regle,
pas une certitude, la nuit complete.
Que vient-on alors nous parler de don, et donner
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