au don une importance
decisive, lorsqu'il n'y a pas une formule stable et lorsque les mieux
doues ne sont encore que des ecoliers, qui ont du bonheur un jour et qui
n'en ont plus le lendemain! Je sais bien qu'il y a un criterium commode
pour la critique: une piece reussit, l'auteur a le don; elle tombe,
l'auteur n'a pas le don. Vraiment c'est la une facon de s'en tirer a bon
compte. Musset n'avait certainement pas le don au degre ou le possede M.
Sardou; qui hesiterait pourtant entre les deux repertoires? Le don est
une invention toute moderne. Il est ne avec notre mecanique theatrale.
Quand on fait bon marche de la langue, de la verite, des observations,
de la creation d'ames originales, on en arrive fatalement a mettre
au-dessus de tout l'art de l'arrangement, la pratique materielle. Ce
sont nos comedies d'intrigue, avec leurs complications sceniques, qui
ont donne cette importance au metier. Mais, sans compter que la formule
change selon les evolutions litteraires, est-ce que le genie de nos
classiques, de Moliere et de Corneille, est dans ce metier? Non, mille
fois non! Ce qu'il faut dire, c'est que le theatre est ouvert a toutes
les tentatives, a la vaste production humaine. Ayez le don, mais ayez
surtout du talent. _On ne badine pas avec l'amour_ vivra, tandis que
j'ai grand'peur pour les _Bourgeois de Pont-Arcy._
Maintenant, voyons ce qui peut donner le change a la critique et la
rendre si severe pour les tentatives dramatiques qui echouent. Examinons
d'abord ce qui se passe, lorsqu'un romancier publie un roman et
lorsqu'un auteur dramatique fait jouer une piece.
Voila le volume en vente. J'admets que le romancier y ait fait une etude
originale, dont l'aprete doive blesser le public. Dans les premiers
temps, le succes est mediocre. Chaque lecteur, chez lui, les pieds sur
les chenets, se fache plus ou moins. Mais s'il a le droit de bruler son
exemplaire, il ne peut bruler l'edition. On ne tue pas un livre. Si le
livre est fort, chaque jour il gagnera a l'auteur des sympathies. Ce
sera un proselytisme lent, mais invincible. Et, un beau matin, le roman
dedaigne, le roman conspue, aura vaincu et prendra de lui-meme la haute
place a laquelle il a droit.
Au contraire, on joue la piece. L'auteur dramatique y a risque, comme
le romancier, des nouveautes de forme et de fond. Les spectateurs se
fachent, parce que ces nouveautes les derangent. Mais ils ne sont plus
chez eux, isoles; ils sont en masse, quinze cents a de
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