ique theatrale, expliqueront le fait en
disant qu'il faut etre ecolier avant d'etre maitre. Pour eux, il est
fatal qu'on passe par Scribe et M. d'Ennery, si l'on veut un jour
connaitre toutes les finesses du metier. On etudie naturellement dans
leurs oeuvres le code des traditions. Meme les critiques dont je parle
croiront tirer de cette imitation inconsciente un argument decisif en
faveur de leurs theories: ils diront que le theatre est a un tel point
une pure affaire de charpente, que les debutants, malgre eux, commencent
presque toujours par ramasser les vieilles poutres abandonnees pour en
faire une carcasse a leurs oeuvres.
Quant a moi, je tire de l'aventure des reflexions tout autres. Je
demande pardon si je me mets en scene; mais j'estime que les meilleures
observations sont celles que l'on fait sur soi. Pourquoi, lorsqu'a vingt
ans je revais des plans de drames et de comedies, ne trouvais-je jamais
que des coups de theatre las de trainer partout? Pourquoi une idee de
piece se presentait-elle toujours a moi avec des combinaisons connues,
une convention qui sentait le monde des planches? La reponse est simple:
j'avais deja l'esprit infecte par les pieces que j'avais vu jouer,
je croyais deja a mon insu que le theatre est un coin a part, ou les
actions et les paroles prennent forcement une deviation reglee d'avance.
Je me souviens de ma jeunesse passee dans une petite ville. Le theatre
jouait trois fois par semaine, et j'en avais la passion. Je ne dinais
pas pour etre le premier a la porte, avant l'ouverture des bureaux.
C'est la, dans cette salle etroite, que pendant cinq ou six ans j'ai
vu defiler tout le repertoire du Gymnase et de la Porte-Saint-Martin.
Education deplorable et dont je sens toujours en moi l'empreinte
ineffacable. Maudite petite salle! j'y ai appris comment un personnage
doit entrer et sortir; j'y ai appris la symetrie des coups de scene, la
necessite des roles sympathiques et moraux, tous les escamotages de
la verite, grace a un geste ou a une tirade; j'y ai appris ce code
complique de la convention, cet arsenal des ficelles qui a fini par
constituer chez nous ce que la critique appelle de ce mot absolu "le
theatre". J'etais sans defense alors, et j'emmagasinais vraiment de
jolies choses dans ma cervelle.
On ne saurait croire l'impression enorme que produit le theatre sur une
intelligence de collegien echappe. On est tout neuf, on se faconne la
comme une cire molle. Et le travail sourd qui
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