ille chez nous ces sortes de pieces me fait peur
a l'avance. Il faut voir comme on y traite l'histoire, quels singuliers
personnages on y presente sous des noms de rois, de grands capitaines ou
de grands artistes, enfin a quelle effroyable sauce on y accommode nos
annales. Des que les auteurs de ces machines-la sont dans le passe, ils
se croient tout permis, les invraisemblances, les poupees de carton, les
sottises enormes, les barbouillages criards d'une fausse couleur locale.
Et quelle etrange langue, Francois 1er parlant comme un mercier de la
rue Saint-Denis, Richelieu ayant des mots de traitre du boulevard du
Crime, Charlotte Corday pleurant avec des sentimentalites de petite
ouvriere!
Ce qui me stupefie, c'est que nos auteurs dramatiques ne paraissent
pas se douter un instant que le genre historique est forcement le plus
ingrat, celui ou les recherches, la conscience, le talent profond
d'intuition et de resurrection sont le plus necessaires. Je comprends ce
drame, lorsqu'il est traite par des poetes de genie ou par des hommes
d'une science immense, capables de mettre devant les spectateurs
toute une epoque debout, avec son air particulier, ses moeurs, sa
civilisation; c'est la alors une oeuvre de divination ou de critique
d'un interet profond.
Mais je sais malheureusement ce que les partisans du drame historique
veulent ressusciter: c'est uniquement le drame a panaches et a
ferraille, la piece a grand spectacle et a grands mots, la piece
menteuse faisant la parade devant la foule, une parade grossiere qui
attriste les esprits justes. Et je me mefie. Je crois que toute cette
antiquaille est bonne a laisser dans notre musee dramatique, sous une
pieuse couche de poussiere.
Sans doute, il y a de grands obstacles aux tentatives originales. On
se heurte contre les hypocrisies de la critique et contre la longue
education de sottise faite a la foule. Cette foule, qui commence a rire
des enfantillages de certains melodrames, se laisse toujours prendre aux
tirades sur les beaux sentiments. Mais les publics changent; le public
de Shakespeare, le public de Moliere ne sont plus les notres. Il faut
compter sur le mouvement des esprits, sur le besoin de realite qui
grandit partout. Les derniers romantiques ont beau repeter que le public
veut ceci, que le public ne veut pas cela: il viendra un jour ou le
public voudra la verite.
IV
Toutes les formules anciennes, la formule classique, la formule
romantique, sont ba
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