sees sur l'arrangement et sur l'amputation
systematiques du vrai. On a pose en principe que le vrai est indigne;
et on essaye d'en tirer une essence, une poesie, sous le pretexte qu'il
faut expurger et agrandir la nature. Jusqu'a present, les differentes
ecoles litteraires ne se sont battues que sur la question de savoir de
quel deguisement on devait habiller la verite, pour qu'elle n'eut pas
l'air d'une devergondee en public. Les classiques avaient adopte le
peplum, les romantiques ont fait une revolution pour imposer la cotte de
maille et le pourpoint. Au fond, ce changement de toilette importe peu,
le carnaval de la nature continue. Mais, aujourd'hui, les naturalistes
arrivent et declarent que le vrai n'a pas besoin de draperies; il doit
marcher dans sa nudite. La, je le repete, est la querelle.
Certes, les ecrivains de quelque jugement comprennent parfaitement que
la tragedie et le drame romantique sont morts. Seulement, le plus grand
nombre sont tres troubles en songeant a la formule encore vague de
demain. Est-ce que serieusement la verite leur demande de faire le
sacrifice de la grandeur, de la poesie, du souffle epique qu'ils ont
l'ambition de mettre dans leurs pieces? Est-ce que le naturalisme exige
d'eux qu'ils rapetissent de toutes parts leur horizon et qu'ils ne
risquent plus un seul coup d'aile dans le ciel de la fantaisie?
Je vais tacher de repondre. Mais, auparavant, il faut determiner les
procedes que les idealistes emploient pour hausser leurs oeuvres a la
poesie. Ils commencent par reculer au fond des ages le sujet qu'ils ont
choisi. Cela leur fournit des costumes et rend le cadre assez vague pour
leur permettre tous les mensonges. Ensuite, ils generalisent au lieu
d'individualiser; leurs personnages ne sont plus des etres vivants, mais
des sentiments, des arguments, des passions deduites et raisonnees. Le
cadre faux veut des heros de marbre ou de carton. Un homme en chair et
en os, avec son originalite propre, detonnerait d'une facon criarde au
milieu d'une epoque legendaire. Aussi voit-on les personnages d'une
tragedie ou d'un drame romantique se promener, raidis dans une altitude,
l'un representant le devoir, l'autre le patriotisme, un troisieme la
superstition, un quatrieme l'amour maternel; et ainsi de suite, toutes
les idees abstraites y passent a la file. Jamais l'analyse complete
d'un organisme, jamais un personnage dont les muscles et le cerveau
travaillent comme dans la nature.
Ce sont d
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