breuses victimes. Ce lac meritait bien son
nom de _Laguna del Muerto_ (lac de la mort). Je me dirigeai vers son
extremite meridionale, et pointai de nouveau vers l'ouest, dans l'espoir
de gagner la riviere.
A dater de ce moment jusqu'a une epoque assez eloignee, ou je me trouvai
place au milieu d'une scene toute differente, ma memoire ne me rappelle
que des choses confuses; quelques incidents, sans aucune liaison entre
eux, mais se rapportant a des faits reels, sont restes dans mon souvenir.
Ils sont meles dans mon esprit avec d'autres visions trop terribles et
trop depourvues de vraisemblance pour que je puisse les considerer
autrement que comme des hallucinations de mon cerveau malade.
Quelques-unes cependant etaient reelles. De temps en temps la raison avait
du me revenir, sous l'influence d'une espece d'oscillation etrange de mon
cerveau. Je me rappelle etre descendu de cheval sur une hauteur.
J'avais du parcourir auparavant une longue route sans m'en rendre compte,
car le soleil etait pres de l'horizon quand je mis pied a terre. C'etait
un point tres-eleve, au bord d'un precipice, et devant moi je voyais une
belle riviere, coulant doucement a travers des bosquets verts comme
l'emeraude. Il me semblait que ces bosquets etaient remplis d'oiseaux qui
chantaient delicieusement. L'air etait rempli de parfums et le paysage qui
se deroulait devant moi m'offrait tous les enchantements d'un Elysee.
Autour de moi tout paraissait lugubre, sterile et brule d'une intolerable
chaleur. La soif qui me torturait etait surexcitee encore par l'aspect de
l'eau. Tout cela etait reel: tout cela etait exact.
* * * * *
Il faut que je boive! Il faut que j'atteigne la riviere! c'est de l'eau
douce et fraiche... Oh! il faut que je boive! Que vois-je? Le rocher est a
pic. Non, je ne puis descendre ici; je descendrai plus facilement la-bas.
--Qui est la!--Qui etes-vous, monsieur?
--Ah! c'est toi, mon brave Moro; c'est toi, Alp, Venez! Venez! suivez-moi!
descendons! descendons a la riviere!--Ah! Encore ce rocher maudit!
--Regardez comme cette eau est belle! Elle nous sourit. On entend son
joyeux clapotement! Allons boire!--Non, pas encore; nous ne pouvons pas
encore descendre. Il faut aller plus loin. Mon Dieu! il n'est pas possible
de sauter d'une telle hauteur! mais il faut pourtant que nous apaisions
notre soif! Viens. Gode! viens, Moro, mon vieil ami! Alp! Viens! Allons!
nous atteindrons la riviere; nou
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