nuit et par le _cronk-cronk_ des fragments de poteries dont
les rues desertes etaient parsemees et qui craquaient sous les pieds de
nos chevaux. Mais ou donc etaient ceux dont l'echo de ces murs avait
autrefois repercute les voix? qui s'etaient agenouilles sous l'ombre
sainte de ces piliers jadis consacres? Ils etaient partis; pour quel pays?
Et pourquoi? Je fis ces questions a Seguin qui me repondit laconiquement:
--Les Indiens!
C'etait l'oeuvre du sauvage arme de sa lance redoutable, de son couteau a
scalper, de son arc et de sa hache de combat, de ses fleches empoisonnees
et de sa torche incendiaire.
--Les Navajoes? demandai-je.
--Les Navajoes et les Apaches.
--Mais ne viennent-ils plus par ici?
Un sentiment d'anxiete m'avait tout a coup traverse l'esprit. Nous etions
encore tout pres de la maison; je pensais a ses murailles sans defense.
J'attendais la reponse avec anxiete.
--Ils n'y viennent plus.
--Et pourquoi?
--Ceci est notre territoire, repondit-il d'un ton significatif. Nous
voici, monsieur, dans un pays ou vivent d'etranges habitants; vous verrez.
Malheur a l'Apache ou au Navajo qui oserait penetrer dans ces forets.
A mesure que nous avancions, la contree devenait plus ouverte, et nous
voyions deux chaines de hautes collines taillees a pic, s'etendant au nord
et au sud sur les deux rives du fleuve, ces collines se rapprochaient
tellement qu'elles semblaient barrer completement la riviere. Mais ce
n'etait qu'une apparence. En avancant plus loin, nous entrames dans un de
ces terribles passages que l'on designe dans le pays sous le nom de
_canons_ [1], et que l'on voit indiques si souvent sur les cartes de
l'Amerique intertropicale. La riviere, en traversant ce canon, ecumait
entre deux immenses rochers tailles a pic, s'elevant a une hauteur de
plus de mille pieds, et dont les profils, a mesure que nous nous en
approchions, nous figuraient deux geants furieux qui, separes par une main
puissante, continuaient de se menacer l'un l'autre. On ne pouvait regarder
sans un sentiment de terreur, les faces lisses de ses enormes rochers et
je sentis un frisson dans mes veines quand je me trouvai sur le seuil de
cette porte gigantesque.
[Note 1: prononcez kagnonz.]
--Voyez-vous ce point? dit Seguin en indiquant une roche qui surplombait
la plus haute cime de cet abime.
Je fis signe que oui, car la question m'etait adressee.
--Eh bien, voila le saut que vous etiez si desireux de faire. Nous v
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