avez pas envie d'aller la-bas dans ces grands bois si gais?
--Je ne le desire pas. Je suis heureuse ici.
--Mais serez-vous toujours heureuse ici?
--Et pourquoi pas, Henri? Quand vous etes pres de moi, comment ne
serais-je pas heureuse?
--Mais quand....
Une triste pensee sembla obscurcir son esprit. Tout entiere a l'amour,
elle n'avait jamais reflechi a la possibilite de mon depart, et je n'y
avais pas reflechi plus qu'elle. Ses joues palirent soudainement, et je
lus une profonde douleur dans ses yeux qu'elle fixa sur moi; mais les mots
etaient prononces.
--... Quand il faudra que je vous quitte?
Elle se jeta entre mes bras avec un cri aigu, comme si elle avait ete
frappee au coeur, et, d'une voix passionnee, cria:
--Oh! mon Dieu! mon Dieu! me quitter! me quitter!--Oh! vous ne me
quitterez pas vous qui m'avez appris a aimer.
--Oh! Henri, pourquoi m'avez-vous dit que vous m'aimiez? Pourquoi
m'avez-vous _enseigne l'amour?_
--Zoe!
--Henri! Henri! Dites que vous ne me quitterez pas?
--Jamais! Zoe! je vous le jure! Jamais! jamais.
--Il me sembla entendre a ce moment le bruit d'un aviron. Mais l'agitation
violente de la passion, le contact de ma bien-aimee, qui, dans le
transport de ses craintes, m'avait enlace de ses deux bras, m'empecherent
de tourner les yeux vers le bord.
C'est sans doute un _osprey_[1] qui plonge, pensai-je, et, ne m'occupant
plus de cela, je me laissai aller a l'extase d'un long et enivrant baiser.
Au moment ou je relevais la tete, une forme qui s'elevait de la rive
frappa mes yeux: un noir sombrero borde d'un galon d'or. Un coup d'oeil me
suffit pour reconnaitre celui qui le portait: c'etait Seguin. Un instant
apres, il etait pres de nous.
[Note 1: Aigle pecheur.]
--Papa! s'ecria Zoe, se levant tout a coup et se jetant dans ses bras.
Le pere la retint aupres de lui en lui prenant les deux mains qu'il tint
serrees dans les siennes. Pendant un moment il garda le silence, fixant
sur moi un regard dont je ne saurais rendre l'expression. C'etait un
melange de reproche, de douleur et d'indignation. Je m'etais leve pour
aller a sa rencontre; mais ce regard etrange me cloua sur place, et je
restai debout, rougissant et silencieux.
--Et c'est ainsi que vous me recompensez de vous avoir sauve la vie? Un
noble remerciment, mon cher monsieur, qu'en pensez-vous?
Je ne repondis pas.
--Monsieur, continua-t-il, la voix tremblante d'emotion, vous ne pouviez
pas m'offenser pl
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