ression douloureuse se peignit sur sa figure, pendant que je
parlais ainsi.
--Crimes! demon! murmurait-il comme se parlant a lui-meme; oui, vous avez
le droit de parler ainsi. C'est ainsi que pense le monde. On vous a
raconte les histoires des hommes de la montagne dans toutes leurs
exagerations sanglantes. On vous a dit que, pendant une treve, j'avais
invite un village d'Apaches a un banquet dont j'avais empoisonne les
viandes; qu'ainsi j'avais empoisonne tous mes hotes, hommes, femmes,
enfants, et qu'ensuite je les avais scalpes! On vous a dit que j'avais
fait placer en face de la bouche d'un canon deux cents sauvages qui
ignoraient l'effet de cet instrument de destruction; que j'avais mis le
feu a cette piece chargee a mitraille, et massacre ainsi ces pauvres gens
sans defiance. On vous a sans doute raconte ces actes de cruaute, et
beaucoup d'autres encore.
--C'est vrai. On m'a raconte ces histoires lorsque j'etais parmi les
chasseurs de la montagne; mais je ne savais trop si je devais les croire.
--Monsieur, ces histoires sont fausses; elles sont fausses et denuees de
tout fondement.
--Je suis heureux de vous entendre parler ainsi. Je ne pouvais pas
aujourd'hui vous croire capable de pareils actes de barbarie.
--Et cependant, fussent-elles vraies jusque dans leurs plus horribles
details, elles n'approcheraient pas encore de toutes les cruautes dont les
sauvages se sont rendus coupables envers les habitants de ces frontieres
sans defense. Si vous saviez l'histoire de ce pays pendant les dix
dernieres annees, les massacres et les assassinats, les ravages et les
incendies, les vols et les enlevements; des provinces entierement
depeuplees; des villages livres aux flammes; les hommes egorges a leur
propre foyer; les femmes les plus charmantes, emmenees captives et livrees
aux embrassements de ces voleurs du desert! Oh! Dieu! et moi aussi, j'ai
recu des atteintes qui m'excuseront a vos yeux, et qui m'excuseront
peut-etre aussi devant le tribunal supreme!
En disant ces mots, il cacha sa tete dans ses mains, et s'accouda les deux
mains sur la table.
--J'ai besoin de vous faire une courte histoire de ma vie.
Je fis un signe d'assentiment, et, apres avoir rempli et vide un second
verre de vin, il continua en ces termes:
--Je ne suis pas Francais, comme on le suppose; je suis creole de la
Nouvelle-Orleans; mes parents etaient des refugies de Saint-Domingue, ou,
a la suite de la revolte des negres, ils avaien
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