rand nombre de personnes, six ou huit pour le moins. Mais c'etait
Une illusion; je m'apercus bientot que ma retine malade, doublait les
objets, et que chaque chose m'apparaissait sous forme d'un couple dont une
image etait la reproduction de l'autre. Je m'efforcai de raffermir mon
regard; ma vue devint plus distincte et plus exacte. Alors je vis qu'il
n'y avait que trois personnes dans la chambre, un homme et deux femmes. Je
gardais le silence, ne sachant trop si cette scene ne constituait pas une
nouvelle phase de mon reve. Mes regards passaient d'une personne a l'autre
sans s'arreter sur aucune d'elles. La plus rapprochee de moi etait une
femme d'un age mur, assise sur une ottomane tres basse. La harpe dont
j'avais entendu les sons etait devant elle, et elle continuait a en jouer.
Elle devait avoir ete, a ce qu'il me parut, d'une rare beaute dans sa
jeunesse; et elle etait encore belle sous beaucoup de rapports. Elle avait
conserve des traits pleins de noblesse, mais sa figure portait l'empreinte
de souffrances morales plus qu'ordinaires. Les soucis plus que le temps
avaient ride le satin de ses joues. C'etait une Francaise; un ethnologiste
pouvait l'affirmer a premiere vue. Les lignes caracteristiques de sa race
privilegiee etaient facilement reconnaissables. Je ne pus m'empecher de
penser qu'il avait ete un temps ou les sourires de cette figure avaient du
faire battre plus d'un coeur. Le sourire avait disparu maintenant, et
avait fait place a l'expression d'une tristesse profonde et sympathique.
Cette melancolie se faisait sentir aussi dans sa voix, dans son chant,
dans chacune des notes qui s'echappaient des vibrations de l'instrument.
Mes regards se porterent plus loin. Un homme, qui avait passe l'age moyen
etait assis devant une table, a peu pres au milieu de la chambre. Sa
figure etait tournee de mon cote, et sa nationalite n'etait pas plus
difficile a reconnaitre que celle de la dame. Les joues vermeilles, le
front large, le menton proeminent, la petite casquette verte a forme haute
et conique, les lunettes bleues etaient autant de signes caracteristiques.
C'etait un Allemand. L'expression de sa physionomie n'etait pas tres
intelligente; mais il avait une de ces figures que l'on retrouve chez bien
des hommes dont l'intelligence a brille dans des recherches artistiques ou
scientifiques de tout genre; recherches profondes et merveilleuses, dues a
des talents ordinaires fecondes par un travail extraordinaire; travai
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