et la mule de bagage avait emporte les outres. Les
morceaux de la calebasse pendaient encore apres la courroie, et les
dernieres gouttes de l'eau qu'elle avait contenue coulaient le long des
flancs de mon cheval. Et j'etais a cinquante milles de l'eau!
Vous ne pouvez comprendre toute l'horreur de cette situation, vous qui
vivez dans des contrees septentrionales, sur une terre remplie de lacs, de
rivieres et de sources limpides. Vous n'avez jamais ressenti la soif. Vous
ne savez pas ce que c'est que d'etre prive d'eau! Elle coule pour vous de
toutes les hauteurs, et vous etes blase sur ses qualites. Elle est trop
crue; elle est trop fade; elle n'est pas assez limpide. Il n'en est pas
ainsi pour l'habitant du desert, pour celui qui voyage a travers l'ocean
des prairies. L'eau est le principal objet de ses soins, de son eternelle
inquietude: l'eau est la divinite qu'il adore. Il peut lutter contre la
faim tant qu'il lui reste un lambeau de ses vetements de cuir. Si le
gibier manque, il peut attraper des marmottes, chasser le lezard et
ramasser les grillons de la prairie. Il peut se procurer toutes sortes
d'aliments. Donnez-lui de l'eau, il pourra vivre et se tirer d'affaire;
avec du temps il atteindra la limite du desert. Prive d'eau, il essayera
de macher une bille ou une pierre de calcedoine; ouvrira les cactus
spheroidaux et fouillera les entrailles du buffalo sanglant; mais il
finira toujours par mourir. Sans eau, eut-il d'ailleurs des provisions en
abondance, il faut qu'il meure. Ah vous ne savez pas ce que c'est que la
soif! C'est une terrible chose. Dans les sauvages deserts de l'ouest c'est
la _soif qui tue._
Il etait tout naturel que je fusse en proie au desespoir. Je pensais avoir
atteint environ le milieu de la _Jornada_. Je savais que, sans eau, il me
serait impossible d'atteindre l'autre extremite. L'angoisse m'avait deja
saisi; ma langue etait dessechee et ma gorge se contractait. La fievre et
la poussiere du desert augmentaient encore mes souffrances. Le besoin,
l'atroce besoin de boire, m'accablait d'incessantes tortures. Ma presence
d'esprit m'avait abandonne et j'etais completement desoriente. Les
montagnes, qui jusqu'alors nous avaient servi de guide, semblaient
maintenant se diriger dans tous les sens. J'etais embrouille au milieu de
toutes ces chaines de collines. Je me rappelais avoir entendu parler d'une
fontaine l'_Ojo del Muerto_, qui, disait-on, se trouvait a l'ouest de la
route. Quelquefois il
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