ombre, que
ce que j'aime est digne de moi; mais, s'il est vrai que j'ai un
indigne amour, comme vous avez essaye de me le faire entendre,
monsieur le duc, je l'arracherai de mon coeur, dusse-je arracher
mon coeur avec l'amour.
Mary Graffton leva les yeux sur lui avec une expression
d'indefinissable pitie.
Raoul sourit tristement.
-- Mademoiselle, dit-il, le diamant que le roi me donne etait
destine a vous, laissez-moi vous l'offrir; si je me marie en
France, vous me le renverrez; si je ne me marie pas, gardez-le.
Et, saluant, il s'eloigna.
"Que veut-il dire?" pensa Buckingham, tandis que Raoul serrait
respectueusement la main glacee de miss Mary.
Miss Mary comprit le regard que Buckingham fixait sur elle.
-- Si c'etait une bague de fiancailles, dit-elle, je ne
l'accepterais point.
-- Vous lui offrez cependant de revenir a vous.
-- Oh! duc, s'ecria la jeune fille avec des sanglots, une femme
comme moi n'est jamais prise pour consolation par un homme comme
lui.
-- Alors, vous pensez qu'il ne reviendra pas.
-- Jamais, dit miss Graffton d'une voix etranglee.
-- Eh bien! je vous dis, moi, qu'il trouvera la-bas son bonheur
detruit, sa fiancee perdue... son honneur meme entame... Que lui
restera-t-il donc qui vaille votre amour? oh! dites, Mary, vous
qui vous connaissez vous meme!
Miss Graffton posa sa blanche main sur le bras de Buckingham, et,
tandis que Raoul fuyait dans l'allee des tilleuls avec une
rapidite vertigineuse, elle chanta d'une voix mourante ces vers de
_Romeo et Juliette_:
_Il faut partir et vivre, _
_Ou rester et mourir._
Lorsqu'elle acheva le dernier mot, Raoul avait disparu. Miss
Graffton rentra chez elle, plus pale et plus silencieuse qu'une
ombre.
Buckingham profita du courrier qui etait venu apporter la lettre
au roi pour ecrire a Madame et au comte de Guiche.
Le roi avait parle juste. A deux heures du matin, la maree etait
haute, et Raoul s'embarquait pour la France.
Chapitre CLXXVIII -- Saint-Aignan suit le conseil de Malicorne
Le roi surveillait ce portrait de La Valliere avec un soin qui
venait autant du desir de la voir ressemblante que du dessein de
faire durer ce portrait longtemps.
Il fallait le voir suivant le pinceau, attendre l'achevement d'un
plan ou le resultat d'une teinte, et conseiller au peintre
diverses modifications auxquelles celui-ci consentait avec une
felicite respectueuse.
Puis, quand le peintre, suivant le conseil de Malico
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