l'un dans sa verte vieillesse, l'autre dans sa jeunesse
en fleur! Jugez, d'apres cela, ce que c'est que les bruits qui
courent, ayez donc foi, apres cela, a quoi que ce soit de ce qui
se passe en ce monde. Mais je fatigue Votre Majeste. Oh! ce n'est
pas mon intention, et je prendrai conge d'elle apres lui avoir
renouvele l'assurance de mon respectueux devouement.
-- Arretez, duchesse; causons un peu de vous.
-- De moi? Oh! madame, n'abaissez pas vos regards jusque-la.
-- Pourquoi donc? N'etes-vous pas ma plus ancienne amie? Est-ce
que vous m'en voulez, duchesse?
-- Moi! mon Dieu, pour quel motif? Serais-je venue aupres de Votre
Majeste, si j'avais sujet de lui en vouloir?
-- Duchesse, les ans nous gagnent; il faut nous serrer contre la
mort qui menace.
-- Madame, vous me comblez avec ces douces paroles.
-- Nulle ne m'a jamais aimee, servie comme vous, duchesse.
-- Votre Majeste s'en souvient?
-- Toujours... Duchesse, une preuve d'amitie.
-- Ah! madame, tout mon etre appartient a Votre Majeste.
-- Cette preuve, voyons!
-- Laquelle?
-- Demandez-moi quelque chose.
-- Demander?
-- Oh! je sais que vous etes l'ame la plus desinteressee, la plus
grande, la plus royale.
-- Ne me louez pas trop, madame, dit la duchesse inquiete.
-- Je ne vous louerai jamais autant que vous le meritez.
-- Avec l'age, avec les malheurs, on change beaucoup, madame.
-- Dieu vous entende, duchesse!
-- Comment cela?
-- Oui, la duchesse d'autrefois, la belle, la fiere, l'adoree
Chevreuse m'eut repondu ingratement: "Je ne veux rien de vous."
Benis soient donc les malheurs, s'ils sont venus, puisqu'ils vous
auront changee, et que peut-etre vous me repondrez: "J'accepte."
La duchesse adoucit son regard et son sourire; elle etait sous le
charme et ne se cachait plus.
-- Parlez, chere, dit la reine, que voulez-vous?
-- Il faut donc s'expliquer?...
-- Sans hesitation.
-- Eh bien! Votre Majeste peut me faire une joie indicible, une
joie incomparable.
-- Voyons, fit la reine, un peu refroidie par l'inquietude. Mais,
avant toute chose, ma bonne Chevreuse, souvenez-vous que je suis
en puissance de fils comme j'etais autrefois en puissance de mari.
-- Je vous menagerai, chere reine.
-- Appelez-moi Anne, comme autrefois; ce sera un doux echo de la
belle jeunesse.
-- Soit. Eh bien! ma veneree maitresse, Anne cherie...
-- Sais-tu toujours l'espagnol?
-- Toujours.
-- Demande-moi en espagn
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