quelle mauvaise chance!"
Porthos se remit, et continua:
-- J'ai donc, par un seul mot, mis l'adversaire dans son tort.
-- C'est selon, dit distraitement Raoul.
-- Non pas, c'est sur. Je l'ai mis dans son tort; c'est a ce
moment que je deploie toute ma courtoisie, pour aboutir a
l'heureuse issue de mon projet. Je m'avance donc d'une mine
affable, et, prenant la main de l'adversaire...
-- Oh! fit Raoul impatient.
-- "Monsieur, lui dis-je, a present que vous etes convaincu de
l'offense, nous sommes assures de la reparation. Entre mon ami et
vous, c'est desormais un echange de gracieux procedes. En
consequence, je suis charge de vous donner la longueur de l'epee
de mon ami."
-- Hein? fit Raoul.
-- Attendez donc!... "La longueur de l'epee de mon ami. J'ai un
cheval en bas; mon ami est a tel endroit, qui attend impatiemment
votre aimable presence; je vous emmene; nous prenons votre temoin
en passant, l'affaire est arrangee."
-- Et, dit Raoul pale de depit, vous reconciliez les deux
adversaires sur le terrain?
-- Plait-il? interrompit Porthos. Reconcilier? pour quoi faire?
-- Vous dites que l'affaire est arrangee...
-- Sans doute, puisque mon ami attend.
-- Eh bien! quoi! s'il attend...
-- Eh bien! s'il attend, c'est pour se delier les jambes.
L'adversaire, au contraire, est encore tout roide du cheval; on
s'aligne, et mon ami tue l'adversaire. C'est fini.
-- Ah! il le tue? s'ecria Raoul.
-- Pardieu! dit Porthos, est-ce que je prends jamais pour amis des
gens qui se font tuer? J'ai cent et un amis, a la tete desquels
sont M. votre pere, Aramis et d'Artagnan, tous gens fort vivants,
je crois!
-- Oh! mon cher baron, s'exclama Raoul dans l'exces de sa joie.
-- Vous approuvez ma methode, alors? fit le geant.
-- Je l'approuve si bien, que j'y aurai recours aujourd'hui, sans
retard, a l'instant meme. Vous etes l'homme que je cherchais.
-- Bon! me voici; vous voulez vous battre?
-- Absolument.
-- C'est bien naturel... Avec qui?
-- Avec M. de Saint-Aignan.
-- Je le connais... un charmant gascon, qui a ete fort poli avec
moi le jour ou j'eus l'honneur de diner chez le roi. Certes, je
lui rendrai sa politesse, meme quand ce ne serait pas mon
habitude. Ah ca! il vous a donc offense?
-- Mortellement.
-- Diable! Je pourrai dire mortellement?
-- Plus encore, si vous voulez.
-- C'est bien commode.
-- Voila une affaire tout arrangee, n'est-ce pas? dit Raoul en
souriant.
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