du a l'affut, et qui le suivait
comme son ombre jalouse et surveillante; M. Colbert, avec sa tete
carree, son gros luxe d'habits debrailles, qui le faisaient
ressembler quelque peu a un seigneur flamand apres la biere.
M. Fouquet, a la vue de son ennemi, demeura calme, et s'attacha
pendant toute la scene qui allait suivre a observer cette conduite
si difficile de l'homme superieur dont le coeur regorge de mepris,
et qui ne veut pas meme temoigner son mepris, dans la crainte de
faire encore trop d'honneur a son adversaire.
Colbert ne cachait pas une joie insultante. Pour lui, c'etait de
la part de M. Fouquet une partie mal jouee et perdue sans
ressource, quoiqu'elle ne fut pas encore terminee. Colbert etait
de cette ecole d'hommes politiques qui n'admirent que l'habilete,
qui n'estiment que le succes.
De plus, Colbert, qui n'etait pas seulement un homme envieux et
jaloux, mais qui avait a coeur tous les interets du roi, parce
qu'il etait doue au fond de la supreme probite du chiffre, Colbert
pouvait se donner a lui-meme le pretexte, si heureux lorsque l'on
hait, qu'il agissait, en haissant et en perdant M. Fouquet, en vue
du bien de l'Etat et de la dignite royale.
Aucun de ces details n'echappa a Fouquet. A travers les gros
sourcils de son ennemi, et malgre le jeu incessant de ses
paupieres, il lisait, par les yeux, jusqu'au fond du coeur de
Colbert; il vit donc tout ce qu'il y avait dans ce coeur: haine et
triomphe.
Seulement, comme, tout en penetrant, il voulait rester
impenetrable, il rasserena son visage, sourit de ce charmant
sourire sympathique qui n'appartenait qu'a lui, et, donnant
l'elasticite la plus noble et la plus souple a la fois a son
salut:
-- Sire, dit-il, je vois, a l'air joyeux de Votre Majeste, qu'elle
a fait une bonne promenade.
-- Charmante, en effet, monsieur le surintendant, charmante! Vous
avez eu bien tort de ne pas venir avec nous, comme je vous y avais
invite.
-- Sire, je travaillais, repondit le surintendant.
Fouquet n'eut pas meme besoin de detourner la tete; il ne
regardait pas du cote de M. Colbert.
-- Ah! la campagne, monsieur Fouquet! s'ecria le roi. Mon Dieu,
que je voudrais pouvoir toujours vivre a la campagne, en plein
air, sous les arbres!
-- Oh! Votre Majeste n'est pas encore lasse du trone, j'espere?
dit Fouquet.
-- Non; mais les trones de verdure sont bien doux.
-- En verite, Sire, Votre Majeste comble tous mes voeux en parlant
ainsi. J'avais just
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