c'est une habitude qu'elle a prise de ma mere.
-- La verveine surtout?
-- C'est son odeur de predilection.
-- Eh bien! mon appartement embaume la verveine.
Le roi demeura pensif.
-- Mais, reprit-il, apres un moment de silence pourquoi Madame
prendrait elle le parti de Bragelonne contre moi?
En disant ces mots, auxquels de Saint-Aignan eut bien facilement
repondu par ceux-ci: "Jalousie de femme!" le roi sondait son ami
jusqu'au fond du coeur pour voir s'il avait penetre le secret de
sa galanterie avec sa belle -- soeur. Mais de Saint-Aignan n'etait
pas un courtisan mediocre; il ne se risquait pas a la legere dans
la decouverte des secrets de famille; il etait trop ami des Muses
pour ne pas songer souvent a ce pauvre Ovidius Naso, dont les yeux
verserent tant de larmes pour expier le crime d'avoir vu on ne
sait quoi dans la maison d'Auguste. Il passa donc adroitement a
cote du secret de Madame. Mais comme il avait fait preuve de
sagacite en indiquant que Madame etait venue chez lui avec
Bragelonne, il fallait payer l'usure de cet amour-propre et
repondre nettement a cette question: "Pourquoi Madame est-elle
contre moi avec Bragelonne?"
-- Pourquoi? repondit de Saint-Aignan. Mais Votre Majeste oublie
donc que M. le comte de Guiche est l'ami intime du vicomte de
Bragelonne?
-- Je ne vois pas le rapport, repondit le roi.
-- Ah! pardon, Sire, fit de Saint-Aignan; mais je croyais M. le
comte de Guiche grand ami de Madame.
-- C'est juste, repartit le roi; il n'y a plus besoin de chercher,
le coup est venu de la.
-- Et, pour le parer, le roi n'est-il pas d'avis qu'il faut en
porter un autre?
-- Oui; mais pas du genre de ceux qu'on se porte au bois de
Vincennes, repondit le roi.
-- Votre Majeste oublie, dit de Saint-Aignan, que je suis
gentilhomme, et que l'on m'a provoque.
-- Ce n'est pas toi que cela regarde.
-- Mais c'est moi qu'on attend aux Minimes, Sire, depuis plus
d'une heure; moi qui en suis cause, et deshonore si je ne vais pas
ou l'on m'attend.
-- Le premier honneur d'un gentilhomme, c'est l'obeissance a son
roi.
-- Sire...
-- J'ordonne que tu demeures!
-- Sire...
-- Obeis.
-- Comme il plaira a Votre Majeste, Sire.
-- D'ailleurs, je veux eclaircir toute cette affaire; je veux
savoir comment on s'est joue de moi avec assez d'audace pour
penetrer dans le sanctuaire de mes predilections. Ceux qui ont
fait cela, de Saint-Aignan, ce n'est pas toi qui dois les punir,
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