pas l'etonne, mon ami.
-- Cher capitaine, je sais fort bien qu'au jeu de la finesse comme
au jeu de la force, je serai battu par vous. En ce moment, voyez-
vous, je suis un sot, et je suis un ciron. Je n'ai ni cerveau ni
bras, ne me meprisez pas, aidez-moi. En deux mots, je suis le plus
miserable des etres vivants.
-- Oh! oh! pourquoi cela? demanda d'Artagnan en debouclant son
ceinturon et en adoucissant son sourire.
-- Parce que Mlle de La Valliere me trompe.
D'Artagnan ne changea pas de physionomie.
-- Elle te trompe! elle te trompe! voila de grands mots. Qui te
les a dits?
-- Tout le monde.
-- Ah! si tout le monde l'a dit, il faut qu'il y ait quelque chose
de vrai. Moi, je crois au feu quand je vois la fumee. Cela est
ridicule, mais cela est.
-- Ainsi, vous croyez? s'ecria vivement Bragelonne.
-- Ah! si tu me prends a partie...
-- Sans doute.
-- Je ne me mele pas de ces affaires-la, moi; tu le sais bien.
-- Comment, pour un ami? pour un fils?
-- Justement. Si tu etais un etranger, je te dirais... je ne te
dirais rien du tout... Comment va Porthos, le sais-tu?
-- Monsieur, s'ecria Raoul, en serrant la main de d'Artagnan, au
nom de cette amitie que vous avez vouee a mon pere!
-- Ah! diable! tu es bien malade... de curiosite.
-- Ce n'est pas de curiosite, c'est d'amour.
-- Bon! autre grand mot. Si tu etais reellement amoureux, mon cher
Raoul, ce serait different.
-- Que voulez-vous dire?
-- Je te dis que, si tu etais pris d'un amour tellement serieux,
que je pusse croire m'adresser toujours a ton coeur... Mais c'est
impossible.
-- Je vous dis que j'aime eperdument Louise.
D'Artagnan lut avec ses yeux au fond du coeur de Raoul.
-- Impossible, te dis-je... Tu es comme tous les jeunes gens; tu
n'es pas amoureux, tu es fou.
-- Eh bien! quand il n'y aurait que cela?
-- Jamais homme sage n'a fait devier une cervelle d'un crane qui
tourne. J'y ai perdu mon latin cent fois en ma vie. Tu
m'ecouterais, que tu ne m'entendrais pas; tu m'entendrais, que tu
ne me comprendrais pas; tu me comprendrais, que tu ne m'obeirais
pas.
-- Oh! essayez, essayez!
-- Je dis plus: si j'etais assez malheureux pour savoir quelque
chose et assez bete pour t'en faire part... Tu es mon ami, dis-tu?
-- Oh! oui.
-- Eh bien! je me brouillerais avec toi. Tu ne me pardonnerais
jamais d'avoir detruit ton illusion, comme on dit en amour.
-- Monsieur d'Artagnan, vous savez tout; vous me lais
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