ue marche qui craquait sous les pieds de Bragelonne le faisait
penetrer d'un pas dans cet appartement mysterieux, qui renfermait
encore les soupirs de La Valliere, et les plus suaves parfums de
son corps.
Bragelonne reconnut, en absorbant l'air par ses haletantes
aspirations, que la jeune fille avait du passer par la.
Puis, apres ces emanations, preuves invisibles, mais certaines,
vinrent les fleurs qu'elle aimait, les livres qu'elle avait
choisis. Raoul eut-il conserve un seul doute, qu'il l'eut perdu a
cette secrete harmonie des gouts et des alliances de l'esprit avec
l'usage des objets qui accompagnent la vie. La Valliere etait pour
Bragelonne en vivante presence dans les meubles, dans le choix des
etoffes, dans les reflets memes du parquet.
Muet et ecrase, il n'avait plus rien a apprendre, et ne suivait
plus son impitoyable conductrice que comme le patient suit le
bourreau.
Madame, cruelle comme une femme delicate et nerveuse, ne lui
faisait grace d'aucun detail.
Mais, il faut le dire, malgre l'espece d'apathie dans laquelle il
etait tombe, aucun de ces details, fut-il reste seul, n'eut
echappe a Raoul. Le bonheur de la femme qu'il aime, quand ce
bonheur lui vient d'un rival, est une torture pour un jaloux.
Mais, pour un jaloux tel que etait Raoul, pour ce coeur qui, pour
la premiere fois s'impregnait de fiel, le bonheur de Louise,
c'etait une mort ignominieuse, la mort du corps et de l'ame.
Il devina tout: les mains qui s'etaient serrees, les visages
rapproches qui s'etaient maries en face des miroirs, sorte de
serment si doux pour les amants qui se voient deux fois, afin de
mieux graver le tableau dans leur souvenir.
Il devina le baiser invisible sous les epaisses portieres
retombant delivrees de leurs embrasses. Il traduisit en fievreuses
douleurs l'eloquence des lits de repos, enfouis dans leur ombre.
Ce luxe, cette recherche pleine d'enivrement, ce soin minutieux
d'epargner tout deplaisir a l'objet aime, ou de lui causer une
gracieuse surprise; cette puissance de l'amour multipliee par la
puissance royale, frappa Raoul d'un coup mortel. Oh! s'il est un
adoucissement aux poignantes douleurs de la jalousie, c'est
l'inferiorite de l'homme qu'on vous prefere: tandis qu'au
contraire s'il est un enfer dans l'enfer, une torture sans nom
dans la langue, c'est la toute-puissance d'un dieu mise a la
disposition d'un rival, avec la jeunesse, la beaute, la grace.
Dans ces moments-la, Dieu lui-meme sembl
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