coeur, fier de s'exposer sur une droiture egale a la sienne.
Cependant Raoul ne chercha pas les explications la ou vont tout de
suite les chercher les amants jaloux ou moins timides. Il n'alla
point dire a sa maitresse: "Louise, est-ce que vous ne m'aimez
plus? Louise, est-ce que vous en aimez un autre?" Homme plein de
courage, plein d'amitie comme il etait plein d'amour, religieux
observateur de sa parole, et croyant a la parole d'autrui, Raoul
se dit: "De Guiche m'a ecrit pour me prevenir; de Guiche sait
quelque chose; je vais aller demander a de Guiche ce qu'il sait,
et lui dire ce que j'ai vu."
Le trajet n'etait pas long. De Guiche, rapporte de Fontainebleau a
Paris depuis deux jours, commencait a se remettre de sa blessure
et faisait quelques pas dans sa chambre.
Il poussa un cri de joie en voyant Raoul entrer avec sa furie
d'amitie.
Raoul poussa un cri de douleur en voyant de Guiche si pale, si
amaigri, si triste. Deux mots et le geste que fit le blesse pour
ecarter le bras de Raoul suffirent a ce dernier pour lui apprendre
la verite.
-- Ah! voila! dit Raoul en s'asseyant a cote de son ami, on aime
et l'on meurt.
-- Non, non, l'on ne meurt pas, repliqua de Guiche en souriant,
puisque je suis debout, puisque je vous presse dans mes bras.
-- Ah! je m'entends.
-- Et je vous entends aussi. Vous vous persuadez que je suis
malheureux, Raoul.
-- Helas!
-- Non. Je suis le plus heureux des hommes! Je souffre avec mon
corps, mais non avec mon coeur, avec mon ame. Si vous saviez!...
Oh! je suis le plus heureux des hommes!
-- Oh! tant mieux! repondit Raoul; tant mieux, pourvu que cela
dure.
-- C'est fini; j'en ai pour jusqu'a la mort, Raoul.
-- Vous, je n'en doute pas; mais elle...
-- Ecoutez, ami, je l'aime... parce que... Mais vous ne m'ecoutez
pas.
-- Pardon.
-- Vous etes preoccupe?
-- Mais oui. Votre sante, d'abord...
-- Ce n'est pas cela.
-- Mon cher, vous auriez tort, je crois, de m'interroger, vous.
Et il accentua ce _vous_ de maniere a eclairer completement son
ami sur la nature du mal et la difficulte du remede.
-- Vous me dites cela, Raoul, a cause de ce que je vous ai ecrit.
-- Mais oui... Voulez-vous que nous en causions quand vous aurez
fini de me conter vos plaisirs et vos peines?
-- Cher ami, a vous, bien a vous, tout de suite.
-- Merci! J'ai hate... je brule... je suis venu de Londres ici en
moitie moins de temps que les courriers d'Etat n'en mettent
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