gtemps, et il n'y avait pas de quoi gagner la
frontiere pour un homme qui n'avait pas la moindre notion de prevoyance.
Therese remit a Vicentino tout ce qu'elle possedait en ce moment en Italie,
et meme sans garder ce qui lui etait necessaire pour elle-meme pendant
quelques jours; car, en voyant Laurent s'approcher, elle n'eut pas le
temps de reprendre quelques pieces d'or dans le rouleau qu'elle glissa
precipitamment au domestique, en lui disant:
--Voila ce qu'il avait dans ses poches; il est fort distrait, il aime
mieux que vous vous en chargiez.
Et elle se retourna vers l'artiste pour lui donner une derniere poignee de
main. Elle le trompait sans remords cette fois. Elle l'avait vu irrite et
desespere lorsqu'elle avait autrefois voulu payer ses dettes; maintenant,
elle n'etait plus pour lui qu'une mere, elle avait le droit d'agir comme
elle le faisait.
Laurent n'avait rien vu.
--Encore un moment, Therese! lui dit-il d'une voix etranglee par les
larmes. On sonnera une cloche pour avertir ceux qui ne sont pas du voyage
de descendre a leurs barques.
Elle passa son bras sous le sien et alla voir sa cabine, qui etait assez
commode pour dormir, mais qui sentait le poisson d'une maniere revoltante.
Therese chercha son flacon pour le lui laisser; mais elle l'avait perdu
sur le rocher de Palmaria.
--De quoi vous inquietez-vous? lui dit-il, attendri de toutes ses
gateries. Donnez-moi une de ces lavandes sauvages que nous avons cueillies
ensemble la-bas, dans les sables.
Therese avait mis ces fleurs dans le corsage de sa robe; c'etait comme un
gage d'amour a lui laisser. Elle trouva quelque chose d'indelicat ou tout
au moins d'equivoque dans cette idee, et son instinct de femme s'y refusa;
mais, comme elle se penchait sur la bande du _steamer_, elle vit, dans une
des barques d'attente attachees a l'escale, un enfant qui presentait aux
passagers de gros bouquets de violettes. Elle chercha dans sa poche une
derniere piece de monnaie qu'elle y trouva avec joie et qu'elle jeta au
petit marchand, pendant que celui-ci lui lancait son plus beau bouquet
par-dessus le bord; elle le recut adroitement et le repandit dans la
cabine de Laurent, qui comprit la supreme pudeur de son amie, mais qui ne
sut jamais que ces violettes etaient payees avec la seule et derniere
obole de Therese.
Un jeune homme dont les habits de voyage et la tournure aristocratique
contrastaient avec ceux des passagers, presque tous marchands d'huil
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