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C'est dans Adene que je vis pour la premiere fois les deux jeunes gens qui
a la Mecque s'etoient fait crever les yeux apres avoir vu la sepulture de
Mahomet.
Les Turcs sont gens de fatigue, d'une vie dure, et a qui il ne coute rien,
ainsi que je l'ai vu tout le long de la route, de dormir sur la terre
commes les animaux. Mais ils sont d'humeur gaie et joyeuse, et chantent
volontiers chansons de gestes. Aussi quelqu'un qui veut vivre avec eux ne
doit etre ni triste ni reveur, mais avoir toujours le visage riant. Du
reste, ils sont gens de bonne foi et charitables les uns envers les autres.
"J'ay veu bien souvent, quant nous mengions, que s'il passoit ung povre
homme aupres d'eulx, faisoient venir mengier avec nous: ce que nous, ne
fesiesmes point."
Dans beaucoup d'endroits j'ai trouve qu'ils ne cuisent point leur pain la
moitie de ce que l'est le notre. Il est mou, et a moins d'y etre accoutume,
on a bien de la peine a le macher. Pour leur viande, ils la mangent crue,
sechee au soleil. Cependant quand une de leurs betes, cheval ou chameau,
est en danger de mort ou sans espoir, ils l'egorgent et la mangent non
crue, un peu cuite. Ils sont tres-propres dans l'appret de leurs viandes;
mais ils mangent tres-salement. Ils tiennent de meme fort, proprement leur
barbe; mais jamais ils ne se lavent les mains que quand ils se baignent,
qu'ils veulent faire leur priere, ou qu'ils se lavent la barbe ou le
derriere.
Adene est une assez bonne ville marchande, bien fermee de murailles, situee
en bon pays et assez voisine de la mer. Sur ses murs passe une grosse
riviere qui vient des hautes montagnes d'Armenie et qu'on nomme Adena. Elle
a un pont fort long et le plus large que j'aie jamais vu. Ses habitans et
son amiral (son seigneur, son prince) sont Turcomans: cet amiral est le
frere de ce brave Ramedang que le soudan fit mourir ainsi que je l'a
raconte. On m'a dit meme que le soudan a entre les mains son fils, et qu'il
n'ose le laisser retourner en Turcomanie.
D'Adene j'allai a Therso que nous appellons Tharse. Le pays, fort beau
encore, quoique voisin des montagnes, est habite par des Turcomans, dont
les uns logent dans des villages et les autres sous des pavillons. Le
canton ou est batie Tharse abonde en ble, vins, bois et eaux. Elle fut une
ville fameuse, et l'on y voit encore de tres-anciens edifices. Je crois que
c'est celle qu'assiegea Baudoin, frere de Godefroi de Bouillon. Aujourd'hui
elle a un amiral nomme par
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