mains, les Egyptiens et les Turcs peuvent detester les Juifs. Mais
dans un salon francais les differences entre ces peuples ne sont pas si
perceptibles, et un Israelite faisant son entree comme s'il sortait du
fond du desert, le corps penche comme une hyene, la nuque obliquement
inclinee et se repandant en grands "salams", contente parfaitement un
gout d'orientalisme. Seulement il faut pour cela que le Juif
n'appartienne pas au "monde", sans quoi il prend facilement l'aspect
d'un lord, et ses facons sont tellement francisees que chez lui un nez
rebelle, poussant, comme les capucines, dans des directions imprevues,
fait penser au nez de Mascarille plutot qu'a celui de Salomon. Mais
Bloch n'ayant pas ete assoupli par la gymnastique du "Faubourg", ni
ennobli par un croisement avec l'Angleterre ou l'Espagne, restait, pour
un amateur d'exotisme, aussi etrange et savoureux a regarder, malgre son
costume europeen, qu'un Juif de Decamps. Admirable puissance de la race
qui du fond des siecles pousse en avant jusque dans le Paris moderne,
dans les couloirs de nos theatres, derriere les guichets de nos bureaux,
a un enterrement, dans la rue, une phalange intacte stylisant la
coiffure moderne, absorbant, faisant oublier, disciplinant la redingote,
demeurant, en somme, toute pareille a celle des scribes assyriens peints
en costume de ceremonie a la frise d'un monument de Suse qui defend les
portes du palais de Darius. (Une heure plus tard, Bloch allait se
figurer que c'etait par malveillance antisemitique que M. de Charlus
s'informait s'il portait un prenom juif, alors que c'etait simplement
par curiosite esthetique et amour de la couleur locale.) Mais, au reste,
parler de permanence de races rend inexactement l'impression que nous
recevons des Juifs, des Grecs, des Persans, de tous ces peuples auxquels
il vaut mieux laisser leur variete. Nous connaissons, par les peintures
antiques, le visage des anciens Grecs, nous avons vu des Assyriens au
fronton d'un palais de Suse. Or il nous semble, quand nous rencontrons
dans le monde des Orientaux appartenant a tel ou tel groupe, etre en
presence de creatures que la puissance du spiritisme aurait fait
apparaitre. Nous ne connaissions qu'une image superficielle; voici
qu'elle a pris de la profondeur, qu'elle s'etend dans les trois
dimensions, qu'elle bouge. La jeune dame grecque, fille d'un riche
banquier, et a la mode en ce moment, a l'air d'une de ces figurantes
qui, dans un ballet historiqu
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