te, repondit M. de Norpois, que sa deposition
etait necessaire. Je sais qu'en soutenant cette opinion j'ai fait
pousser a plus d'un de mes collegues des cris d'orfraie, mais, a mon
sens, le gouvernement avait le devoir de laisser parler le colonel. On
ne sort pas d'une pareille impasse par une simple pirouette, ou alors on
risque de tomber dans un bourbier. Pour l'officier lui-meme, cette
deposition produisit a la premiere audience une impression des plus
favorables. Quand on l'a vu, bien pris dans le joli uniforme des
chasseurs, venir sur un ton parfaitement simple et franc raconter ce
qu'il avait vu, ce qu'il avait cru, dire: "Sur mon honneur de soldat (et
ici la voix de M. de Norpois vibra d'un leger tremolo patriotique) telle
est ma conviction", il n'y a pas a nier que l'impression a ete profonde.
"Voila, il est dreyfusard, il n'y a plus l'ombre d'un doute", pensa
Bloch.
--Mais ce qui lui a aliene entierement les sympathies qu'il avait pu
rallier d'abord, cela a ete sa confrontation avec l'archiviste Gribelin,
quand on entendit ce vieux serviteur, cet homme qui n'a qu'une parole
(et M. de Norpois accentua avec l'energie des convictions sinceres les
mots qui suivirent), quand on l'entendit, quand on le vit regarder dans
les yeux son superieur, ne pas craindre de lui tenir la dragee haute et
lui dire d'un ton qui n'admettait pas de replique: "Voyons, mon colonel,
vous savez bien que je n'ai jamais menti, vous savez bien qu'en ce
moment, comme toujours, je dis la verite", le vent tourna, M. Picquart
eut beau remuer ciel et terre dans les audiences suivantes, il fit bel
et bien fiasco.
"Non, decidement il est antidreyfusard, c'est couru, se dit Bloch. Mais
s'il croit Picquart un traitre qui ment, comment peut-il tenir compte de
ses revelations et les evoquer comme s'il y trouvait du charme et les
croyait sinceres? Et si au contraire il voit en lui un juste qui delivre
sa conscience, comment peut-il le supposer mentant dans sa confrontation
avec Gribelin?"
--En tout cas, si ce Dreyfus est innocent, interrompit la duchesse, il
ne le prouve guere. Quelles lettres idiotes, emphatiques, il ecrit de
son ile! Je ne sais pas si M. Esterhazy vaut mieux que lui, mais il a un
autre chic dans la facon de tourner les phrases, une autre couleur. Cela
ne doit pas faire plaisir aux partisans de M. Dreyfus. Quel malheur pour
eux qu'ils ne puissent pas changer d'innocent.
Tout le monde eclata de rire. "Vous avez entendu le mot
|