t sans doute son visage
maigre, d'un dessin regulier, ses cheveux legers, ses yeux gais. Moi, en
lui serrant la main, je pensais a Mme Swann, et je me disais avec
etonnement, tant elles etaient separees et differentes dans mon
souvenir, que j'aurais desormais a l'identifier avec la "Dame en rose".
M. de Charlus fut bientot assis a cote de Mme Swann. Dans toutes les
reunions ou il se trouvait, et dedaigneux avec les hommes, courtise par
les femmes, il avait vite fait d'aller faire corps avec la plus
elegante, de la toilette de laquelle il se sentait empanache. La
redingote ou le frac du baron le faisait ressembler a ces portraits
remis par un grand coloriste d'une homme en noir, mais qui a pres de
lui, sur une chaise, un manteau eclatant qu'il va revetir pour quelque
bal costume. Ce tete-a-tete, generalement avec quelque Altesse,
procurait a M. de Charlus de ces distinctions qu'il aimait. Il avait,
par exemple, pour consequence que les maitresses de maison laissaient,
dans une fete, le baron avoir seul une chaise sur le devant dans un rang
de dames, tandis que les autres hommes se bousculaient dans le fond. De
plus, fort absorbe, semblait-il, a raconter, et tres haut, d'amusantes
histoires a la dame charmee, M. de Charlus etait dispense d'aller dire
bonjour aux autres, donc d'avoir des devoirs a rendre. Derriere la
barriere parfumee que lui faisait la beaute choisie, il etait isole au
milieu d'un salon comme au milieu d'une salle de spectacle dans une loge
et, quand on venait le saluer, au travers pour ainsi dire de la beaute
de sa compagne, il etait excusable de repondre fort brievement et sans
s'interrompre de parler a une femme. Certes Mme Swann n'etait guere du
rang des personnes avec qui il aimait ainsi a s'afficher. Mais il
faisait profession d'admiration pour elle, d'amitie pour Swann, savait
qu'elle serait flattee de son empressement, et etait flatte lui-meme
d'etre compromis par la plus jolie personne qu'il y eut la.
Mme de Villeparisis n'etait d'ailleurs qu'a demi contente d'avoir la
visite de M. de Charlus. Celui-ci, tout en trouvant de grands defauts a
sa tante, l'aimait beaucoup. Mais, par moments, sous le coup de la
colere, de griefs imaginaires, il lui adressait, sans resister a ses
impulsions, des lettres de la derniere violence, dans lesquelles il
faisait etat de petites choses qu'il semblait jusque-la n'avoir pas
remarquees. Entre autres exemples je peux citer ce fait, parce que mon
sejour a Balbec m
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