composerait une farce assez
plaisante. Il pourrait meme, pendant qu'il y est, frapper a coups
redoubles sur sa charogne, ou, comme dirait ma vieille bonne, sur sa
carogne de mere. Voila qui serait fort bien fait et ne serait pas pour
nous deplaire, hein! petit ami, puisque nous aimons les spectacles
exotiques et que frapper cette creature extra-europeenne, ce serait
donner une correction meritee a un vieux chameau." En disant ces mots
affreux et presque fous, M. de Charlus me serrait le bras a me faire
mal. Je me souvenais de la famille de M. de Charlus citant tant de
traits de bonte admirables, de la part du baron, a l'egard, de cette
vieille bonne dont il venait de rappeler le patois molieresque, et je me
disais que les rapports, peu etudies jusqu'ici, me semblait-il, entre la
bonte et la mechancete dans un meme coeur, pour divers qu'ils puissent
etre, seraient interessants a etablir.
Je l'avertis qu'en tout cas Mme Bloch n'existait plus, et que quant a M.
Bloch je me demandais jusqu'a quel point il se plairait a un jeu qui
pourrait parfaitement lui crever les yeux. M. de Charlus sembla fache.
"Voila, dit-il, une femme qui a eu grand tort de mourir. Quant aux yeux
creves, justement la Synagogue est aveugle, elle ne voit pas les verites
de l'Evangile. En tout cas, pensez, en ce moment ou tous ces malheureux
Juifs tremblent devant la fureur stupide des chretiens, quel honneur
pour eux de voir un homme comme moi condescendre a s'amuser de leurs
jeux." A ce moment j'apercus M. Bloch pere qui passait, allant sans
doute au-devant de son fils. Il ne nous voyait pas mais j'offris a M. de
Charlus de le lui presenter. Je ne me doutais pas de la colere que;
j'allais dechainer chez mon compagnon: "Me le presenter! Mais il faut
que vous ayez bien peu le sentiment des valeurs! On ne me connait pas si
facilement que ca. Dans le cas actuel l'inconvenance serait double a
cause de la juvenilite du presentateur et de l'indignite du presente.
Tout au plus, si on me donne un jour le spectacle asiatique que
j'esquissais, pourrai-je adresser a cet affreux bonhomme quelques
paroles empreintes de bonhomie. Mais a condition qu'il se soit laisse
copieusement rosser par son fils. Je pourrais aller jusqu'a exprimer ma
satisfaction." D'ailleurs M. Bloch ne faisait nulle attention a nous. Il
etait en train d'adresser a Mme Sazerat de grands saluts fort bien
accueillis d'elle. J'en etais surpris, car jadis, a Combray, elle avait
ete indignee que m
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