ire, et parce qu'il etait l'indiscretion meme.
Il l'avait racontee, mais sans que Mme de Villeparisis le sut. De sorte
qu'ayant appris par sa lettre qu'il comptait la deshonorer en divulguant
une circonstance ou il lui avait declare a elle-meme qu'elle avait bien
agi, elle avait pense qu'il l'avait trompee alors et mentait en feignant
de l'aimer. Tout cela s'etait apaise, mais chacun des deux ne savait pas
exactement l'opinion que l'autre avait de lui. Certes il s'agit la d'un
cas de brouilles intermittentes un peu particulier. D'ordre different
etaient celles de Bloch et de ses amis. D'un autre encore celles de M.
de Charlus, comme on le verra, avec des personnes tout autres que Mme de
Villeparisis. Malgre cela il faut se rappeler que l'opinion que nous
avons les uns des autres, les rapports d'amitie, de famille, n'ont rien
de fixe qu'en apparence, mais sont aussi eternellement mobiles que la
mer. De la tant de bruits de divorce entre des epoux qui semblaient unis
et qui, bientot apres, parlent tendrement l'un de l'autre; tant
d'infamies dites par un ami sur un ami dont nous le croyions inseparable
et avec qui nous le trouverons reconcilie avant que nous ayons eu le
temps de revenir de notre surprise; tant de renversements d'alliances en
si peu de temps, entre les peuples.
--Mon Dieu, ca chauffe entre mon oncle et Mme Swann, me dit Saint-Loup.
Et maman qui, dans son innocence, vient les deranger. Aux pures tout est
pur!
Je regardais M. de Charlus. La houppette de ses cheveux gris, son oeil
dont le sourcil etait releve par le monocle et qui souriait, sa
boutonniere en fleurs rouges, formaient comme les trois sommets mobiles
d'un triangle convulsif et frappant. Je n'avais pas ose le saluer, car
il ne m'avait fait aucun signe. Or, bien qu'il ne fut pas tourne de mon
cote, j'etais persuade qu'il m'avait vu; tandis qu'il debitait quelque
histoire a Mme Swann dont flottait jusque sur un genou du baron le
magnifique manteau couleur pensee, les yeux errants de M. de Charlus,
pareils a ceux d'un marchand en plein vent qui craint l'arrivee de la
_Rousse_, avaient certainement explore chaque partie du salon et
decouvert toutes les personnes qui s'y trouvaient. M. de Chatellerault
vint lui dire bonjour sans que rien decelat dans le visage de M. de
Charlus qu'il eut apercu le jeune duc avant le moment ou celui-ci se
trouva devant lui. C'est ainsi que, dans les reunions un peu nombreuses
comme etait celle-ci, M. de Charlus gardai
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