ison
particuliere pour en etre surpris, ne sachant pas a ce moment-la qu'elle
etait la propre soeur du duc de Guermantes. Plus tard j'ai toujours ete
etonne chaque fois que j'appris, dans cette societe, que des femmes
melancoliques, pures, sacrifiees, venerees comme d'ideales saintes de
vitrail, avaient fleuri sur la meme souche genealogique que des freres
brutaux, debauches et vils. Des freres et soeurs, quand ils sont tout a
fait pareils du visage comme etaient le duc de Guermantes et Mme de
Marsantes, me semblaient devoir avoir en commun une seule intelligence,
un meme coeur, comme aurait une personne qui peut avoir de bons ou de
mauvais moments mais dont on ne peut attendre tout de meme de vastes
vues si elle est d'esprit borne, et une abnegation sublime si elle est
de coeur dur.
Mme de Marsantes suivait les cours de Brunetiere. Elle enthousiasmait le
faubourg Saint-Germain et, par sa vie de sainte, l'edifiait aussi. Mais
la connexite morphologique du joli nez et du regard penetrant incitait
pourtant a classer Mme de Marsantes dans la meme famille intellectuelle
et morale que son frere le duc. Je ne pouvais croire que le seul fait
d'etre une femme, et peut-etre d'avoir ete malheureuse et d'avoir
l'opinion de tous pour soi, pouvait faire qu'on fut aussi different des
siens, comme dans les chansons de geste ou toutes les vertus et les
graces sont reunies en la soeur de freres farouches. Il me semblait que
la nature, moins libre que les vieux poetes, devait se servir a peu
pres exclusivement des elements communs a la famille et je ne pouvais
lui attribuer tel pouvoir d'innovation qu'elle fit, avec des materiaux
analogues a ceux qui composaient un sot et un rustre, un grand esprit
sans aucune tare de sottise, une sainte sans aucune souillure de
brutalite. Mme de Marsantes avait une robe de surah blanc a grandes
palmes, sur lesquelles se detachaient des fleurs en etoffe lesquelles
etaient noires. C'est qu'elle avait perdu, il y a trois semaines, son
cousin M. de Montmorency, ce qui ne l'empechait pas de faire des
visites, d'aller a de petits diners, mais en deuil. C'etait une grande
dame. Par atavisme son ame etait remplie par la frivolite des existences
de cour, avec tout ce qu'elles ont de superficiel et de rigoureux. Mme
de Marsantes n'avait pas eu la force de regretter longtemps son pere et
sa mere, mais pour rien au monde elle n'eut porte de couleurs dans le
mois qui suivait la mort d'un cousin. Elle fut plus qu'ai
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