ir a la
charge; je lui dirai tres franchement les liens tout a fait cordiaux qui
nous unissent, je ne lui cacherai pas que, si vous vous presentiez, je
demanderais a tous mes amis de voter pour vous (le prince eut un profond
soupir de soulagement) et il sait que j'ai des amis. J'estime que, si je
parvenais a m'assurer son concours, vos chances deviendraient fort
serieuses. Venez ce soir-la a six heures chez Mme de Villeparisis, je
vous introduirai et je pourrai vous rendre compte de mon entretien du
matin.
C'est ainsi que le prince de Faffenheim avait ete amene a venir voir Mme
de Villeparisis. Ma profonde desillusion eut lieu quand il parla. Je
n'avais pas songe que, si une epoque a des traits particuliers et
generaux plus forts qu'une nationalite, de sorte que, dans un
dictionnaire illustre ou l'on donne jusqu'au portrait authentique de
Minerve, Leibniz avec sa perruque et sa fraise differe peu de Marivaux
ou de Samuel Bernard, une nationalite a des traits particuliers plus
forts qu'une caste. Or ils se traduisirent devant moi, non par un
discours ou je croyais d'avance que j'entendrais le frolement des elfes
et la danse des Kobolds, mais par une transposition qui ne certifiait
pas moins cette poetique origine: le fait qu'en s'inclinant, petit,
rouge et ventru, devant Mme de Villeparisis, le Rhingrave lui dit:
"Ponchour, Matame la marquise" avec le meme accent qu'un concierge
alsacien.
--Vous ne voulez pas que je vous donne une tasse de the ou un peu de
tarte, elle est tres bonne, me dit Mme de Guermantes, desireuse d'avoir
ete aussi aimable que possible. Je fais les honneurs de cette maison
comme si c'etait la mienne, ajouta-t-elle sur un ton ironique qui
donnait quelque chose d'un peu guttural a sa voix, comme si elle avait
etouffe un rire rauque.
--Monsieur, dit Mme de Villeparisis a M. de Norpois, vous penserez tout
a l'heure que vous avez quelque chose a dire au prince au sujet de
l'Academie?
Mme de Guermantes baissa les yeux, fit faire un quart de cercle a son
poignet pour regarder l'heure.
--Oh! mon Dieu; il est temps que je dise au revoir a ma tante, si je
dois encore passer chez Mme de Saint-Ferreol, et je dine chez Mme Leroi.
Et elle se leva sans me dire adieu. Elle venait d'apercevoir Mme Swann,
qui parut assez genee de me rencontrer. Elle se rappelait sans doute
qu'avant personne elle m'avait dit etre convaincue de l'innocence de
Dreyfus.
--Je ne veux pas que ma mere me presente a Mme Swan
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