sais que le parti socialiste reclame sa tete a cor et a cri, ainsi
que l'elargissement immediat du prisonnier de l'ile du Diable. Mais je
pense que nous n'en sommes pas encore reduits a passer ainsi sous les
fourches caudines de MM. Gerault-Richard et consorts. Cette affaire-la,
jusqu'ici, c'est la bouteille a l'encre. Je ne dis pas que d'un cote
comme de l'autre il n'y ait a cacher d'assez vilaines turpitudes. Que
meme certains protecteurs plus ou moins desinteresses de votre client
puissent avoir de bonnes intentions, je ne pretends pas le contraire,
mais vous savez que l'enfer en est pave, ajouta-t-il avec un regard fin.
Il est essentiel que le gouvernement donne l'impression qu'il n'est pas
aux mains des factions de gauche et qu'il n'a pas a se rendre pieds et
poings lies aux sommations de je ne sais quelle armee pretorienne qui,
croyez-moi, n'est pas l'armee. Il va de soi que si un fait nouveau se
produisait, une procedure de revision serait entamee. La consequence
saute aux yeux. Reclamer cela, c'est enfoncer une porte ouverte. Ce
jour-la le gouvernement saura parler haut et clair ou il laisserait
tomber en quenouille ce qui est sa prerogative essentielle. Les
coqs-a-l'ane ne suffiront plus. Il faudra donner des juges a Dreyfus. Et
ce sera chose facile car, quoique l'on ait pris l'habitude dans notre
douce France, ou l'on aime a se calomnier soi-meme, de croire ou de
laisser croire que pour faire entendre les mots de verite et de justice
il est indispensable de traverser la Manche, ce qui n'est bien souvent
qu'un moyen detourne de rejoindre la Spree, il n'y a pas de juges qu'a
Berlin. Mais une fois l'action gouvernementale mise en mouvement, le
gouvernement saurez-vous l'ecouter? Quand il vous conviera a remplir
votre devoir civique, saurez-vous l'ecouter, vous rangerez-vous autour
de lui? a son patriotique appel saurez-vous ne pas rester sourds et
repondre: "Present!"?
M. de Norpois posait ces questions a Bloch avec une vehemence qui, tout
en intimidant mon camarade, le flattait aussi; car l'Ambassadeur avait
l'air de s'adresser en lui a tout un parti, d'interroger Bloch comme
s'il avait recu les confidences de ce parti et pouvait assumer la
responsabilite des decisions qui seraient prises. "Si vous ne desarmiez
pas, continua M. de Norpois sans attendre la reponse collective de
Bloch, si, avant meme que fut sechee l'encre du decret qui instituerait
la procedure de revision, obeissant a je ne sais quel insidieux m
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