moins il parla a Bloch, avec beaucoup d'affabilite,
des annees affreuses, peut-etre mortelles, que traversait la France.
Comme cela signifiait probablement que M. de Norpois (a qui Bloch
cependant avait dit croire a l'innocence de Dreyfus) etait ardemment
antidreyfusard, l'amabilite de l'Ambassadeur, l'air qu'il avait de
donner raison a son interlocuteur, de ne pas douter qu'ils fussent du
meme avis, de se liguer en complicite avec lui pour accabler le
gouvernement, nattaient la vanite de Bloch et excitaient sa curiosite.
Quels etaient les points importants que M. de Norpois ne specifiait
point, mais sur lesquels il semblait implicitement admettre que Bloch et
lui etaient d'accord, quelle opinion avait-il donc de l'affaire, qui put
les reunir? Bloch etait d'autant plus etonne de l'accord mysterieux qui
semblait exister entre lui et M. de Norpois que cet accord ne portait
pas que sur la politique, Mme de Villeparisis ayant assez longuement
parle a M. de Norpois des travaux litteraires de Bloch.
--Vous n'etes pas de votre temps, dit a celui-ci l'ancien ambassadeur,
et je vous en felicite, vous n'etes pas de ce temps ou les etudes
desinteressees n'existent plus, ou on ne vend plus au public que des
obscenites ou des inepties. Des efforts tels que les votres devraient
etre encourages si nous avions un gouvernement.
Bloch etait flatte de surnager seul dans le naufrage universel. Mais la
encore il aurait voulu des precisions, savoir de quelles inepties
voulait parler M. de Norpois. Bloch avait le sentiment de travailler
dans la meme voie que beaucoup, il ne s'etait pas cru si exceptionnel.
Il revint a l'affaire Dreyfus, mais ne put arriver a demeler l'opinion
de M. de Norpois. Il tacha de le faire parler des officiers dont le nom
revenait souvent dans les journaux a ce moment-la; ils excitaient plus
la curiosite que les hommes politiques meles a la meme affaire, parce
qu'ils n'etaient pas deja connus comme ceux-ci et, dans un costume
special, du fond d'une vie differente et d'un silence religieusement
garde, venaient seulement de surgir et de parler, comme Lohengrin
descendant d'une nacelle conduite par un cygne. Bloch avait pu, grace a
un avocat nationaliste qu'il connaissait, entrer a plusieurs audiences
du proces Zola. Il arrivait la le matin, pour n'en sortir que le soir,
avec une provision de sandwiches et une bouteille de cafe, comme au
concours general ou aux compositions de baccalaureat, et ce changement
d'habitude
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