sant d'une double colere de mauvais mari
a qui on parle et de beau parleur qu'on n'ecoute pas, il s'arreta net et
lanca sur la duchesse un regard qui embarrassa tout le monde.
--Qu'est-ce qu'il vous prend de nous parler de Gilbert et de Jerusalem?
dit-il enfin. Il ne s'agit pas de cela. Mais, ajouta-t-il d'un ton
radouci, vous m'avouerez que si un des notres etait refuse au Jockey, et
surtout Robert dont le pere y a ete pendant dix ans president, ce serait
un comble. Que voulez-vous, ma chere, ca les a fait tiquer, ces gens,
ils ont ouvert de gros yeux. Je ne peux pas leur donner tort;
personnellement vous savez que je n'ai aucun prejuge de races, je trouve
que ce n'est pas de notre epoque et j'ai la pretention de marcher avec
mon temps, mais enfin, que diable! quand on s'appelle le marquis de
Saint-Loup, on n'est pas dreyfusard, que voulez-vous que je vous dise!
M. de Guermantes prononca ces mots: "quand on s'appelle le marquis de
Saint-Loup" avec emphase. Il savait pourtant bien que c'etait une plus
grande chose de s'appeler "le duc de Guermantes". Mais si son
amour-propre avait des tendances a s'exagerer plutot la superiorite du
titre de duc de Guermantes, ce n'etait peut-etre pas tant les regles du
bon gout que les lois de l'imagination qui le poussaient a le diminuer.
Chacun voit en plus beau ce qu'il voit a distance, ce qu'il voit chez
les autres. Car les lois generales qui reglent la perspective dans
l'imagination s'appliquent aussi bien aux ducs qu'aux autres hommes. Non
seulement les lois de l'imagination, mais celles du langage. Or, l'une
ou l'autre de deux lois du langage pouvaient s'appliquer ici, l'une veut
qu'on s'exprime comme les gens de sa classe mentale et non de sa caste
d'origine. Par la M. de Guermantes pouvait etre dans ses expressions,
meme quand il voulait parler de la noblesse, tributaire de tres petits
bourgeois qui auraient dit: "Quand on s'appelle le duc de Guermantes",
tandis qu'un homme lettre, un Swann, un Legrandin, ne l'eussent pas dit.
Un duc peut ecrire des romans d'epicier, meme sur les moeurs du grand
monde, les parchemins n'etant la de nul secours, et l'epithete
d'aristocratique etre meritee par les ecrits d'un plebeien. Quel etait
dans ce cas le bourgeois a qui M. de Guermantes avait entendu dire:
"Quand on s'appelle", il n'en savait sans doute rien. Mais une autre loi
du langage est que de temps en temps, comme font leur apparition et
s'eloignent certaines maladies dont on n'ent
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