dit Mme de Guermantes a
un regard interrogatif de sa tante. C'est une personne impossible: elle
dit "plumitif", enfin des choses comme ca.--Qu'est-ce que ca veut dire
"plumitif"? demanda Mme de Villeparisis a sa niece?--Mais je n'en sais
rien! s'ecria la duchesse avec une indignation feinte. Je ne veux pas le
savoir. Je ne parle pas ce francais-la. Et voyant que sa tante ne savait
vraiment pas ce que voulait dire plumitif, pour avoir la satisfaction de
montrer qu'elle etait savante autant que puriste et pour se moquer de sa
tante apres s'etre moquee de Mme de Cambremer:--Mais si, dit-elle avec
un demi-rire, que les restes de la mauvaise humeur jouee reprimaient,
tout le monde sait ca, un plumitif c'est un ecrivain, c'est quelqu'un
qui tient une plume. Mais c'est une horreur de mot. C'est a vous faire
tomber vos dents de sagesse. Jamais on ne me ferait dire ca.
--Comment, c'est le frere! je n'ai pas encore realise. Mais au fond ce
n'est pas incomprehensible. Elle a la meme humilite de descente de lit
et les memes ressources de bibliotheque tournante. Elle est aussi
flagorneuse que lui et aussi embetante. Je commence a me faire assez
bien a l'idee de cette parente.
--Assieds-toi, on va prendre un peu de the, dit Mme de Villeparisis a
Mme de Guermantes, sers-toi toi-meme, toi tu n'as pas besoin de voir les
portraits de tes arriere-grand'meres, tu les connais aussi bien que moi.
Mme de Villeparisis revint bientot s'asseoir et se mit a peindre. Tout
le monde se rapprocha, j'en profitai pour aller vers Legrandin et, ne
trouvant rien de coupable a sa presence chez Mme de Villeparisis, je lui
dis sans songer combien j'allais a la fois le blesser et lui faire
croire a l'intention de le blesser: "Eh bien, monsieur, je suis presque
excuse d'etre dans un salon puisque je vous y trouve." M. Legrandin
conclut de ces paroles (ce fut du moins le jugement qu'il porta sur moi
quelques jours plus tard) que j'etais un petit etre foncierement mechant
qui ne se plaisait qu'au mal.
"Vous pourriez avoir la politesse de commencer par me dire bonjour", me
repondit-il, sans me donner la main et d'une voix rageuse et vulgaire
que je ne lui soupconnais pas et qui, nullement en rapport rationnel
avec ce qu'il disait d'habitude, en avait un autre plus immediat et plus
saisissant avec quelque chose qu'il eprouvait. C'est que, ce que nous
eprouvons, comme nous sommes decides a toujours le cacher, nous n'avons
jamais pense a la facon dont nous l'
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