otion de cette
enorme fortune, en lui la vanite du grand seigneur etait doublee de
celle de l'homme d'argent, l'education raffinee du premier arrivant tout
juste a contenir la suffisance du second. On comprenait d'ailleurs que
ses succes de femmes, qui faisaient le malheur de la sienne, ne fussent
pas dus qu'a son nom et a sa fortune, car il etait encore d'une grande
beaute, avec, dans le profil, la purete, la decision de contour de
quelque dieu grec.
--Vraiment, elle a joue chez vous? demanda M. d'Argencourt a la
duchesse.
--Mais voyons, elle est venue reciter, avec un bouquet de lis dans la
main et d'autres lis "su" sa robe. (Mme de Guermantes mettait, comme Mme
de Villeparisis, de l'affectation a prononcer certains mots d'une facon
tres paysanne, quoiqu'elle ne roulat nullement les _r_ comme faisait sa
tante.)
Avant que M. de Norpois, contraint et force, n'emmenat Bloch dans la
petite baie ou ils pourraient causer ensemble, je revins un instant vers
le vieux diplomate et lui glissai un mot d'un fauteuil academique pour
mon pere. Il voulut d'abord remettre la conversation a plus tard. Mais
j'objectai que j'allais partir pour Balbec. "Comment! vous allez de
nouveau a Balbec? Mais vous etes un veritable globe-trotter!" Puis il
m'ecouta. Au nom de Leroy-Beaulieu, M. de Norpois me regarda d'un air
soupconneux. Je me figurai qu'il avait peut-etre tenu a M.
Leroy-Beaulieu des propos desobligeants pour mon pere, et qu'il
craignait que l'economiste ne les lui eut repetes. Aussitot, il parut
anime d'une veritable affection pour mon pere. Et apres un de ces
ralentissements du debit ou tout d'un coup une parole eclate, comme
malgre celui qui parle, et chez qui l'irresistible conviction emporte
les efforts begayants qu'il faisait pour se taire: "Non, non, me dit-il
avec emotion, il ne _faut pas_ que votre pere se presente. Il ne le faut
pas dans son interet, pour lui-meme, par respect pour sa valeur qui est
grande et qu'il compromettrait dans une pareille aventure. Il vaut mieux
que cela. Fut-il nomme, il aurait tout a perdre et rien a gagner. Dieu
merci, il n'est pas orateur. Et c'est la seule chose qui compte aupres
de mes chers collegues, quand meme ce qu'on dit ne serait que
turlutaines. Votre pere a un but important dans la vie; il doit y
marcher droit, sans se laisser detourner a battre les buissons, fut-ce
les buissons, d'ailleurs plus epineux que fleuris, du jardin d'Academus.
D'ailleurs il ne reunirait que quelque
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