n-aime Charles.
Depuis le jour de son evanouissement, a la suite du verdict du
jury, Amelie n'avait pas verse une larme, et nous pourrions
presque ajouter n'avait pas prononce une parole.
Au lieu d'etre le marbre de l'antiquite s'animant pour devenir
femme, on eut pu croire que c'etait l'etre anime qui peu a peu se
petrifiait.
Chaque jour, il semblait qu'elle fut devenue un peu plus pale, un
peu plus glacee.
Charlotte la regardait avec etonnement: les esprits vulgaires,
tres impressionnables aux bruyantes demonstrations, c'est-a-dire
aux cris et aux pleurs, ne comprennent rien aux douleurs muettes.
Il semble que, pour eux, le mutisme, c'est l'indifference.
Elle fut donc etonnee du calme avec lequel Amelie recut le message
qu'elle etait chargee de transmettre.
Elle ne vit pas que son visage, plonge dans la demi-teinte du
crepuscule, passait de la paleur a la lividite; elle ne sentit
point l'etreinte mortelle qui, comme une tenaille de fer, lui
broya le coeur; elle ne comprit point, lorsqu'elle s'achemina vers
la porte, qu'une roideur plus automatique encore que de coutume
accompagnait ses mouvements.
Seulement, elle s'appreta a la suivre.
Mais, arrivee a la porte, Amelie etendit la main:
-- Attends-moi la, dit-elle.
Charlotte obeit.
Amelie referma la porte derriere elle et monta a la chambre de
Roland.
La chambre de Roland etait une veritable chambre de soldat et de
chasseur, dont le principal ornement etaient des panoplies et des
trophees.
Il y avait la des armes de toute espece, indigenes et etrangeres,
depuis les pistolets aux canons azures de Versailles jusqu'aux
pistolets a pommeau d'argent du Caire, depuis le couteau catalan
jusqu'au cangiar turc.
Elle detacha des trophees quatre poignards aux lames tranchantes
et aigues; elle enleva aux panoplies huit pistolets de differentes
formes.
Elle prit des balles dans un sac, de la poudre dans une corne.
Puis elle descendit rejoindre Charlotte.
Dix minutes apres, aidee de sa femme de chambre, elle avait revetu
son costume de Bressane.
On attendit la nuit; la nuit vient tard au mois de juin.
Amelie resta debout, immobile, muette, appuyee a sa cheminee
eteinte, regardant par la fenetre ouverte le village de Ceyzeriat,
qui disparaissait peu a peu dans les ombres crepusculaires.
Lorsque Amelie ne vit plus rien que les lumieres s'allumant de
place en place:
-- Allons, dit-elle, il est temps.
Les deux jeunes filles sortirent
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