ses yeux sur le champ de bataille.
La retraite continuait; mais le general Elsnitz et sa colonne
etaient arretes par Roland et ses neuf cents hommes.
La redoute de granit s'etait changee en volcan; elle jetait le feu
par ses quatre faces.
Alors, s'adressant aux trois autres officiers:
-- Un de vous au centre; les deux autres aux ailes! dit Bonaparte;
annoncez partout l'arrivee de la reserve et la reprise de
l'offensive.
Les trois officiers partirent comme trois fleches lancees par le
meme arc, s'ecartant de leur point de depart au fur et a mesure
qu'ils approchaient de leur but respectif.
Au moment ou, apres les avoir suivis des yeux, Bonaparte se
retournait, un cavalier portant l'uniforme d'officier general
n'etait plus qu'a cinquante pas de lui.
C'etait Desaix.
Desaix, qu'il avait quitte sur la terre d'Egypte et qui, le matin
meme, disait en riant:
-- Les boulets d'Europe ne me connaissent plus, il m'arrivera
malheur.
Une poignee de mains suffit aux deux amis pour echanger leur
coeur.
Puis Bonaparte etendit le bras vers le champ de bataille.
La simple vue en apprenait plus que toutes les paroles du monde.
Des vingt mille hommes qui avaient commence le combat vers cinq
heures du matin, a peine, sur un rayon de deux lieues, restait-il
neuf mille hommes d'infanterie, mille chevaux et dix pieces de
canon en etat de faire feu; un quart de l'armee etait hors de
combat; l'autre quart, occupe a transporter les blesses que le
premier consul avait donne l'ordre de ne pas abandonner. Tout
reculait, a l'exception de Roland et de ses neuf cents hommes.
Le vaste espace compris entre la Bormida et le point de retraite
ou l'on etait arrive, etait couvert de cadavres d'hommes et de
chevaux, de canons demontes, de caissons brises.
De place en place montaient des colonnes de flamme et de fumee;
c'etaient des champs de ble qui brulaient.
Desaix embrassa tous ces details d'un coup d'oeil.
-- Que pensez-vous de la bataille? demanda Bonaparte.
-- Je pense, dit Desaix, qu'elle est perdue; mais comme il n'est
encore que trois heures de l'apres-midi, nous avons le temps d'en
gagner une autre.
-- Seulement, dit une voix, il vous faut du canon.
Cette voix, c'etait celle de Marmont, qui commandait en chef
l'artillerie.
-- Vous avez raison, Marmont; mais ou allez vous en prendre, du
canon?
-- Cinq pieces que je puis retirer du champ de bataille encore
intactes, cinq autres que nous avions lais
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