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morts, six mille blesses, cinq mille prisonniers, douze drapeaux,
trente pieces de canon.
Jamais la fortune ne s'etait montree sous deux faces si opposees.
A deux heures de l'apres-midi, c'etait pour Bonaparte une defaite
et ses desastreuses consequences; a cinq heures, c'etait l'Italie
reconquise d'un seul coup et le trone de France en perspective.
Le soir meme, le premier consul ecrivait cette lettre a madame de
Montrevel:
"Madame,
"J'ai remporte aujourd'hui ma plus belle victoire; mais cette
victoire me coute les deux moities de mon coeur, Desaix et Roland.
"Ne pleurez point, madame: depuis longtemps, votre fils voulait
mourir et il ne pouvait mourir plus glorieusement.
"BONAPARTE."
On fit des recherches inutiles pour retrouver le cadavre du jeune
aide de camp: comme Romulus, il avait disparu dans une tempete.
Nul ne sut jamais quelle cause lui avait fait poursuivre, avec
tant d'acharnement, une mort qu'il avait eu tant de peine a
rencontrer.
UN MOT AU LECTEUR
Il y a a peu pres un an que mon vieil ami Jules Simon, l'auteur du
_Devoir, _vint me demander de lui faire un roman pour le _Journal
pour Tous._
Je lui racontai un sujet de roman que j'avais dans la tete. Le
sujet lui convenait. Nous signames le traite seance tenante.
L'action se passait de 1791 a 1793, et le premier chapitre
s'ouvrait a Varennes, le soir de l'arrestation du roi.
Seulement, si presse que fut le _Journal pour Tous_, je demandai a
Jules Simon une quinzaine de jours avant de me mettre a son roman.
Je voulais aller a Varennes; je ne connaissais pas Varennes.
Il y a une chose que je ne sais pas faire: c'est un livre ou un
drame sur des localites que je n'ai pas vues.
Pour faire _Christine, _j'ai ete a Fontainebleau; pour faire
_Henri III_, j'ai ete a Blois; pour faire les _Mousquetaires_,
j'ai ete a Boulogne et a Bethune; pour faire _Monte-Cristo, _je
suis retourne aux Catalans et au chateau d'If; pour faire _Isaac
Laquedem_, je suis retourne a Rome; et j'ai, certes, perdu plus de
temps a etudier Jerusalem et Corinthe a distance que si j'y fusse
alle.
Cela donne un tel caractere de verite a ce que je fais, que les
personnages que je plante poussent parfois aux endroits ou je les
ai plantes, de telle facon que quelques-uns finissent par croire
qu'ils ont existe.
Il y a meme des gens qui les ont connus.
Ainsi je vais vous dire une chose en confidence, chers lecteurs;
seulement, ne la repetez point.
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