usant de ce don du developpement qui lui est propre, et
elle s'afflige de ne pas parler la meme langue. Ce sont ensuite des
questions singulierement indiscretes, qu'une femme ne pose pas, auxquelles
un homme ne saurait repondre. Et voici la conclusion de ces pages, ou le
lyrisme romantique s'allie a de maladives curiosites qui devaient
deconcerter le simple Pagello:
"Je ne sais ni ta vie passee, ni ton caractere, ni ce que les hommes qui
te connaissent pensent de toi. Peut-etre es-tu le premier, peut-etre le
dernier d'entre eux. Je t'aime sans savoir si je pourrai t'estimer, je
t'aime parce que tu me plais, peut-etre serai-je forcee de te hair
bientot. Si tu etais un homme de ma patrie, je t'interrogerais et tu me
comprendrais. Mais je serais peut-etre plus malheureuse encore, car tu me
tromperais. Toi, du moins, tu ne me tromperas pas, tu ne me feras pas de
vaines promesses et de faux serments. Tu m'aimeras comme tu sais et comme
tu peux aimer. Ce que j'ai cherche en vain dans les autres, je ne le
trouverai peut-etre pas en toi, mais je pourrai toujours croire que tu le
possedes. Les regards et les caresses d'amour qui m'ont toujours menti, tu
me les laisseras expliquer a mon gre, sans y joindre de trompeuses
paroles. Je pourrai interpreter ta reverie et faire parler eloquemment ton
silence. J'attribuerai a tes actions l'intention que je te desirerai.
Quand tu me regarderas tendrement, je croirai que ton ame s'adresse a la
mienne; quand tu regarderas le ciel, je croirai que ton intelligence
remonte vers le foyer eternel dont elle emane."
"Restons donc ainsi, n'apprends pas ma langue, je ne veux pas chercher
dans la tienne les mots qui te diraient mes doutes et mes craintes. Je
veux ignorer ce que tu fais de ta vie et quel role tu joues parmi les
hommes. Je voudrais ne pas savoir ton nom, cache-moi ton ame, que je
puisse toujours la croire belle!"
Oblige de comprendre l'appel de George Sand et d'y repondre, Pagello dut
remettre au lendemain l'explosion de sa reconnaissance et de son
enthousiasme. Lorsqu'il fit sa visite quotidienne a Alfred de Musset, il
le trouva sensiblement mieux. "La Sand, dit-il, n'etait pas la. Il y avait
pourtant deux desirs contraires en moi: l'un qui haletait ardemment de la
voir, l'autre qui aurait voulu la fuir; mais celui-ci perdait toujours a
la loterie."
Soudain George Sand entra, et, a long intervalle, Pagello la revoit, au
plus profond de ses souvenirs, "introduisant sa petite mai
|