'oeil ou sur le front,
et je te defends d'entrer dans une phase de ma vie ou j'avais le droit de
reprendre les voiles de la pudeur vis-a-vis de toi."
Que faut-il entendre par "des precedents quelconques?" Quelle etait, au
cours de la maladie de Musset, la nature de cette intimite qu'elle
circonscrit entre l'oeil et le front?
Devant le silence d'_Elle_ et de _Lui_, et en presence des seules
accusations proferees par Paul de Musset, il sied d'interroger Pagello.
Son recit semble veridique et exempt de toute fatuite. Il parle des nuits
qu'il a passees avec George Sand au chevet du poete: "Ces veillees
n'etaient pas muettes, et les graces, l'esprit eleve, la douce confiance
que me montrait la Sand, m'enchainaient a elle tous les jours, a toute
heure et a chaque instant davantage." Il se defend toutefois d'avoir fait
les premiers aveux, et il declare qu'il devenait rouge comme braise, quand
elle lui demandait a quoi il pensait. Certain soir, elle se mit a ecrire
avec fougue, tandis qu'il parcourait un volume de Victor Hugo. Au bout
d'une heure, elle posa la plume, parut longuement reflechir la tete entre
ses mains. "Puis, se levant, ajoute Pagello, elle me regarda fixement,
saisit le feuillet ou elle avait ecrit et me dit: "C'est pour vous."
Ils s'approcherent du lit ou Alfred de Musset dormait, et le docteur se
retira, emportant le papier qu'il lut avec surprise. Etait-ce quelque page
detachee d'un roman? Ou un fragment d'autobiographie? Il le demanda le
lendemain a George Sand, en la priant d'indiquer a qui s'adressait et
devait etre remis ce morceau de prose passionnee.
--Au stupide Pagello," ecrivit-elle en travers du pli.
C'etait, dans le style colore et enflamme de _Lelia_, une veritable
declaration d'amour, intitulee "En Moree." qui debutait ainsi:
"Nes sous des cieux differents, nous n'avons ni les memes pensees ni le
meme langage; avons-nous du moins des coeurs semblables? Le tiede et
brumeux climat d'ou je viens m'a laisse des impressions douces et
melancoliques: le genereux soleil qui a bruni ton front, quelles passions
t'a-t-il donnees? Je sais aimer et souffrir, et toi, comment aimes-tu?
L'ardeur de tes regards, l'etreinte violente de tes bras, l'audace de tes
desirs me tentent et me font peur. Je ne sais ni combattre ta passion ni
la partager. Dans mon pays on n'aime pas ainsi; je suis aupres de toi
comme une pale statue, je te regarde avec etonnement, avec desir, avec
inquietude."
Elle continue,
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