elaborde. Elle avait ete en prison au couvent des Anglaises en meme temps
que madame Dupin, et pour lors elle usait de moyens d'existence assez
facheux. L'_Histoire de ma Vie_ recourt a des circonlocutions, a des
euphemismes, et finit par convenir que "sa jeunesse avait ete livree par
la force des choses a des hasards effrayants." Ces explications tres
embarrassees ont pour objet de ne pas confesser crument que Victoire
Delaborde accompagnait un general de l'armee d'Italie et avait trouve des
ressources dans les depouilles du pays conquis. George Sand ne s'arrete
pas a ces miseres. Elle veut excuser, sinon innocenter sa mere: "Un fait
subsiste devant Dieu, c'est qu'elle fut aimee de mon pere, et qu'elle le
merita apparemment, puisque son deuil, a elle, ne finit qu'avec sa vie."
Haussant encore le ton, elle s'ecrie sur le mode declamatoire: "Le grand
revolutionnaire Jesus nous a dit un jour une parole sublime: c'est qu'il y
avait plus de joie au ciel pour la recouvrance d'un pecheur que pour la
perseverance de cent justes." Redescendons des sommets de la morale
evangelique dans la realite: Maurice Dupin recevait de madame Delaborde
des prets d'argent, sans s'inquieter d'abord d'ou elle tirait ces
subsides. Ce n'est qu'a la reflexion qu'il doute de la delicatesse du
procede et discute avec ses scrupules: "Qu'as-tu fait? qu'ai-je fait
moi-meme en acceptant ce secours?... Si j'avais su que tu n'etais pas
mariee, que tout ce luxe ne t'appartenait pas!... Je me trompe, je ne sais
ce que je dis, il t'appartient, puisque l'amour te l'a donne: mais quand
je songe aux idees qui pourraient lui venir, a _lui_... Il ne les aurait
pas longtemps, je le tuerais! Enfin je suis fou, je t'aime et je suis au
desespoir. Tu es libre, tu peux le quitter quand tu voudras, tu n'es pas
heureuse avec lui, c'est moi que tu aimes, et tu veux me suivre, tu veux
perdre une position assuree et fortunee pour partager les hasards de ma
mince fortune."
Maurice Dupin reussit a detacher madame Delaborde de son general, mais il
rencontra mille obstacles avant d'aboutir au mariage. Quatre annees
s'ecoulerent entre la rencontre d'Asola et la naissance de George Sand.
Elles furent singulierement agitees: maintes fois le jeune homme essaya de
sacrifier son amour a sa mere, qui avait l'humeur ombrageuse et jalouse.
Fait prisonnier par les Autrichiens en nivose an IX, il ne recouvra la
liberte, au bout de deux mois, que pour accourir a Nohant en floreal de la
mem
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