e du _Cheval blanc_;
car il aimait le vin, la biere, la pipe, le billard et le domino. Il
aimait surtout Aurore. C'etait un disgracie, a l'ame tendre, aux effusions
sentimentales. "Le plus laid des hommes, dit George Sand, mais cette
laideur etait si bonne qu'elle appelait la confiance et l'amitie. Il avait
un gros nez epate, une bouche epaisse et de tres petits yeux; ses cheveux
blonds frisaient obstinement, et sa peau etait si blanche et si rose qu'il
parut toujours jeune. A quarante ans, il se mit fort en colere, parce
qu'un commis de la mairie, ou il servait de temoin au mariage de ma soeur,
lui demanda de tres bonne foi s'il avait atteint l'age de majorite." Grand
et gros, la figure contractee par des tics nerveux, Pierret etait le
meilleur des hommes. Une annee ou Aurore ne cessait de troubler le sommeil
de sa mere, il prit l'enfant, l'emporta chez lui, passa une vingtaine de
nuits aupres du berceau, administrant le lait et preparant l'eau, sucree
avec la vigilance d'une nourrice. Le matin, il ramenait Aurore en allant a
son bureau, et le soir il la reprenait en sortant du _Cheval blanc_.
Il fallut pourtant quitter l'ami Pierret. Madame Maurice Dupin, depuis
longtemps eloignee de son mari et un peu jalouse, voulut le rejoindre a
Madrid. Elle etait enceinte, et ce voyage semblait assez imprudent. Elle
resolut neanmoins de l'entreprendre, laissa Caroline en pension et partit
avec Aurore. Comme Victor Hugo, George Sand etait vouee, tout enfant, a
visiter l'Espagne: Elle en a rapporte des impressions qui meritent d'etre
recueillies. D'abord son imagination fut emue par les hautes montagnes des
Asturies, puis elle admira la vegetation avec cet instinctif enthousiasme
qui devait faire d'elle l'eleve et l'imitatrice de Jean-Jacques: "Je vis,
dit-elle, pour la premiere fois, sur les marges du chemin, du liseron en
fleur. Ces clochettes roses, delicatement rayees de blanc, me frapperent
beaucoup." Sa mere attira son attention: "Respire-les, cela sent le bon
miel, et ne les oublie pas!" George Sand conserva, en effet, cette
premiere sensation de l'odorat, et depuis lors elle ne put respirer des
fleurs de liseron-vrille sans se rappeler le bord du chemin espagnol. Le
liseron etait pour elle comme pour Rousseau la pervenche des _Confessions_.
Une autre rencontre marqua le voyage avant l'arrivee a Madrid. C'etait par
une nuit assez claire. Tout a coup le postillon modera l'allure de son
attelage et cria au jockey: "Dites a ce
|