Aurore une
impression favorable. Elle aimait ce vieillard, qui la traitait avec une
pointe de galanterie respectueuse, et dont elle resume ainsi le caractere,
"enjoue et bienveillant, colere, mais tendre, sensible et juste." Elle
loue les Gascons, qu'elle ne trouve pas plus menteurs ni plus vantards que
les autres provinciaux, qui le sont tous un peu", mais elle n'aime pas
leur cuisine a la graisse, en depit de la plantureuse chere que l'on
faisait a Guillery. Elle enumere les pieces de resistance qui composaient
des menus pantagrueliques: jambons, poulardes farcies, oies grasses,
canards obeses, truffes, gibier, gateaux de millet et de mais. Nul ne
sejournait en cette abbaye de Theleme, sans s'apercevoir, dit Aurore,
d'une notable augmentation de poids dans sa personne. Seule elle derogeait
a la regle et maigrissait a vue d'oeil. Comment expliquer ce
deperissement? Etait-ce le fait de la cuisine a la graisse ou de
l'eloignement d'Aurelien? Un voyage a Bordeaux les remit en presence. Dans
une longue conversation a la Brede, ils prirent la resolution
definitive--malgre lui, malgre elle, comme Titus et Berenice--de n'etre
jamais qu'amis. "J'eus la, ecrit-elle, un tres violent chagrin, un moment
de desesperance absolue." Mais le calme revint dans son esprit et elle
trouva un equilibre provisoire.
Le baron Dudevant mourut pendant l'hiver 1825-1826. Aurore etait absente
de Guillery. Son mari lui annonca brusquement la nouvelle: "Il est mort."
Immediatement elle songea a son fils Maurice et tomba sur les genoux,
aneantie. Quand elle sut qu'il s'agissait de son beau-pere, elle eut un
eclair de joie--"les entrailles maternelles sont feroces"--puis elle se
mit a pleurer, car elle aimait le vieux Dudevant. La veuve lui inspira
bientot des sentiments tout autres. Sous des formes affables, c'etait une
nature de glace, profondement egoiste. George Sand nous a trace d'elle une
amusante silhouette: "Elle avait une jolie figure douce sur un corps plat,
osseux, carre et large d'epaules. Cette figure donnait confiance, mais en
regardant ses mains seches et dures, ses doigts noueux et ses grands pieds,
on sentait une nature sans charme, sans nuances, sans elans ni retours de
tendresse. Elle etait maladive et entretenait la maladie par un regime de
petits soins dont le resultat etait l'etiolement. Elle etait vetue en
hiver de quatorze jupons qui ne reussissaient pas a arrondir sa personne.
Elle prenait mille petites drogues."
Au cours
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