us,
je mourrai muet. Si mon nom est ecrit dans un coin de votre coeur, quelque
faible, quelque decoloree qu'en soit l'empreinte, ne l'effacez pas. Je
puis embrasser une fille galeuse et ivre-morte, mais je ne puis embrasser
ma mere.
"Aimez ceux qui savent aimer, je ne sais que souffrir. Il y a des jours ou
je me tuerais; mais je pleure ou j'eclate de rire; non pas aujourd'hui,
par exemple.
"Adieu, George, je vous aime comme un enfant."
L'appel de Musset fut entendu, sa priere exaucee, dans les tout premiers
jours d'aout. On le peut pressentir, d'apres une lettre que George Sand
adressait a Sainte-Beuve le 3 aout et ou elle semble secouer le pessimisme
de _Lelia_. Son aversion, recemment declaree, pour l'amour n'est plus
irreductible. "Quoique j'en medise souvent, ecrit-elle, comme je fais de
mes plus saintes convictions aux heures ou le demon m'assiege, je sais
bien qu'il n'y a que cela au monde de beau et de sacre." Vite, elle
eprouve le besoin de crier sa passion, de la rendre publique et de
l'arborer comme une cocarde. Elle s'en ouvre a Sainte-Beuve, le 25 aout,
dans les termes les plus explicites; car elle veut qu'il voie clair dans
sa conduite, qu'il connaisse ses actions et ses intentions:
"Je me suis enamouree, et cette fois tres serieusement, d'Alfred de
Musset. Ceci n'est plus un caprice, c'est un attachement senti... Il ne
m'appartient pas de promettre a cette affection une duree qui vous la
fasse paraitre aussi sacree que les affections dont vous etes susceptible.
J'ai aime une fois pendant six ans[1], une autre fois pendant trois[2], et,
maintenant, je ne sais pas de quoi je suis capable. Beaucoup de
fantaisies ont traverse mon cerveau, mais mon coeur n'a pas ete aussi use
que je m'en effrayais; je le dis maintenant parce que je le sens.
[Note 1: Aurelien de Seze.]
[Note 2: Jules Sandeau.]
"Loin d'etre affligee et meconnue[3], je trouve cette fois une candeur,
une loyaute, une tendresse qui m'enivrent. C'est un amour de jeune homme
et une amitie de camarade. C'est quelque chose dont je n'avais pas l'idee,
que je ne croyais rencontrer nulle part, et surtout la.
[Note 3: Ceci est un retour vers Prosper Merimee.]
"Je l'ai niee, cette affection, je l'ai repoussee, je l'ai refusee d'abord,
et puis je me suis rendue, et je suis heureuse de l'avoir fait. Je m'y
suis rendue par amitie plus que par amour, et l'amour que je ne
connaissais pas s'est revele a moi sans aucune des douleurs que je croyai
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