s. Mais je sais que vous etes bonne, que vous avez
aime, et je me confie a vous, non pas comme a une maitresse, mais comme a
un camarade franc et loyal. George, je suis un fou de me priver du plaisir
de vous voir pendant le peu de temps que vous avez encore a passer a Paris,
avant votre voyage a la campagne et votre depart pour l'Italie, ou nous
aurions passe de belles nuits, si j'avais de la force. Mais la verite est
que je souffre et que la force me manque.
"Alfred de MUSSET."
On n'a pas, par grand malheur, la reponse de George Sand a cette epitre
qui fleure un parfum de sincerite juvenile. Ce ne dut etre ni un
acquiescement ni un refus, mais une parole de vague esperance qui
maintenait et surexcitait l'exaltation du poete. Il est au seuil de la
Terre promise et il se desespere, dans une autre lettre qu'on n'a jamais
entierement citee. La voici en sa teneur integrale:
"Je voudrais que vous me connaissiez mieux, que vous voyiez qu'il n'y a
dans ma conduite envers vous ni rouerie ni orgueil affecte, et que vous ne
me fassiez pas plus grand ni plus petit que je ne suis. Je me suis livre
sans reflexion au plaisir de vous voir et de vous aimer. Je vous ai aimee,
non pas chez vous, pres de vous, mais ici, dans cette chambre ou me voila
seul a present. C'est la que je vous ai dit ce que je n'ai dit a personne.
"Vous souvenez-vous que vous m'avez dit un jour que quelqu'un vous avait
demande si j'etais Octave ou Celio, et que vous aviez repondu: "Tous les
deux, je crois?" Ma folie a ete de ne vous en montrer qu'un, George, et
quand l'autre a parle, vous lui avez repondu comme a...
(_Les deux lignes suivantes ont ete coupees._)
"A qui la faute? A moi. Plaignez ma triste nature qui s'est habituee a
vivre dans un cercueil scelle, et haissez les hommes qui m'y ont force.
"Voila un mur de prison, disiez-vous hier, tout viendrait s'y
briser."--Oui, George, voila un mur; vous n'avez oublie qu'une chose,
c'est qu'il y a derriere un prisonnier.
"Voila mon histoire tout entiere, ma vie passee, ma vie future. Je serai
bien avance, bien heureux, quand j'aurai barbouille de mauvaises rimes les
murs de mon cachot. Voila un beau calcul, une belle organisation, de
rester muet en face de l'etre qui peut vous comprendre, et de faire de ses
souffrances un tresor sacre pour le jeter dans toutes les voiries, dans
tous les egouts, a six francs l'exemplaire. Pouah!
"Plaignez-moi, ne me meprisez pas. Puisque je n'ai pu parler devant vo
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