sentier:
"Benedict n'etait pas beau; mais sa taille etait remarquablement elegante.
Son costume rustique, qu'il portait un peu theatralement, sa marche legere
et assuree sur les bords du ravin, son grand chien blanc tachete qui
bondissait devant lui, et surtout son chant, assez flatteur et assez
puissant pour suppleer chez lui a la beaute du visage, toute cette
apparition dans une scene champetre qui, par les soins de l'art,
spoliateur de la nature, ressemblait assez a un decor d'opera, c'etait de
quoi emouvoir un jeune cerveau." Et ailleurs: "Benedict n'etait pas
absolument depourvu de beaute. Son teint etait d'une paleur bilieuse, ses
yeux longs n'avaient pas de couleur; mais son front etait vaste et d'une
extreme purete." Or, Valentine le trouve autrement attrayant que son
correct et flegmatique fiance, M. de Lansac, secretaire d'ambassade. Il
est vrai que celui-ci ne songeait pas a se pencher au-dessus d'un ruisseau
pour y contempler, comme dans un miroir, l'image gracieuse de Valentine.
Benedict avait de ces attentions romanesques. D'ou son charme victorieux.
"Benedict, pale, fatigue, pensif, les cheveux eu desordre; Benedict, vetu
d'habits grossiers et couvert de vase, le cou nu et hale; Benedict, assis
negligemment au milieu de cette belle verdure, au-dessus de ces belles
eaux; Benedict, qui regardait Valentine a l'insu de Valentine, et qui
souriait de bonheur et d'admiration, Benedict alors etait un homme; un
homme des champs et de la nature, un homme dont la male poitrine pouvait
palpiter d'un amour violent, un homme s'oubliant lui-meme dans la
contemplation de ce que Dieu a cree de plus beau. Je ne sais quelles
emanations magnetiques nageaient dans l'air embrase autour de lui; je ne
sais quelles emotions mysterieuses, indefinies, involontaires, firent tout
d'un coup battre le coeur ignorant et pur de la jeune comtesse."
Toujours est-il que le magnetisme opere, et nous l'entrevoyons a travers
des descriptions qui meriteraient d'etre confrontees avec certaines pages
de _Madame Bovary_. La melancolie, "ce mal terrible qui avait envahi la
destinee de Benedict dans sa fleur", a une influence si communicative que
Valentine cede au sortilege. La veille de son mariage, elle accorde, au
fond du parc, une entrevue a Benedict, qui se montre "le plus timide des
amants et le plus heureux des hommes." Meme scene, a huis clos, la nuit
des noces. Benedict pleurait beaucoup; c'etait un preservatif. Et M. de
Lansac lui laissait
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