certer pour aller les devorer de nuit, dans un coin de la maison.
"Mettre en commun nos friandises et les manger en cachette aux heures ou
l'on ne devait pas manger, c'etait une fete, une partie fine et des rires
inextinguibles, et des saletes de l'autre monde, comme de lancer au
plafond la croute d'une tarte aux confitures et de la voir s'y coller avec
grace, de cacher des os de poulet au fond d'un piano, de semer des pelures
de fruits dans les escaliers sombres pour faire tomber les personnes
graves. Tout cela paraissait enormement spirituel, et l'on se grisait a
force de rire; car en fait de boisson nous n'avions que de l'eau ou de la
limonade."
Soudain la plus invraisemblable des revolutions se produisit chez cette
espiegle d'Aurore, adonnee a la _diablerie_. Elle devint devote. Elle
avait quinze ans. L'eveil de son coeur fut une crise de mysticisme. Elle
avait besoin d'aimer hors d'elle-meme. Elle aima Dieu. Voici comment la
metamorphose s'opera. L'ordinaire religieux des pensionnaires etait la
messe tous les matins, a sept heures, puis dans l'apres-midi une
meditation d'une demi-heure a la chapelle. Celles qui meditaient
peniblement avaient le droit de faire une lecture pieuse. Plusieurs
baillaient, chuchotaient ou sommeillaient: Aurore etait du nombre. Un jour,
par ennui, elle ouvrit un abrege de la _Vie des Saints_, lut la legende
de Simeon le Stylite, y prit interet, rouvrit le volume le lendemain et
les jours suivants. Un tableau du Titien, place au fond du choeur, et qui
representait Jesus au Jardin des Olives, lui sembla s'illuminer et reveler
le sens profond de l'agonie du Christ. Elle eut la vague curiosite de
poursuivre ses lectures, d'aborder la vie de saint Augustin, celle de
saint Paul, d'evoquer le peu de latin qu'elle avait su pour comprendre et
admirer les psaumes. Elle ouvrit l'Evangile, s'en penetra, s'y complut, et
elle retourna au pied de l'autel, non seulement aux heures obligatoires,
mais pendant les recreations. A la pale clarte de la lampe du sanctuaire,
elle priait, suivait son reve mystique. Et le spectacle de cette chapelle,
ou son ame se renouvelle et s'epure, est demeure grave en sa memoire: "La
flamme blanche se repetait dans les marbres polis du pave, comme une
etoile dans une eau immobile. Son reflet detachait quelques pales
etincelles sur les angles des cadres dores, sur les flambeaux ciseles et
sur les lames d'or du tabernacle. La porte placee au fond de
l'arriere-choeur etait ouve
|