de fevrier ses
facultes s'etaient obscurcies, mais elle eut, a l'instant supreme, un
retour de lucidite et dit a sa petite-fille: "Tu perds ta meilleure amie."
Deschartres, que cette mort avait affole, reveilla Aurore vers une heure
du matin et par le verglas la conduisit au cimetiere. Il avait ouvert le
cercueil de Maurice Dupin, souleva la tete qui se detacha d'elle-meme, et
dit a Aurore: "Demain cette fosse sera fermee. Il faut y descendre, il
faut baiser cette relique. Ce sera un souvenir pour toute votre vie." Etla
jeune fille, s'associant a l'exaltation du precepteur, accomplit, apres
lui, cet acte, faut-il dire de devotion ou de profanation? Il referma
ensuite le cercueil, et ajouta en sortant du cimetiere: "Ne parlons de
cela a personne. On croirait que nous sommes fous, et pourtant nous ne le
sommes pas."
Aurore passait sous la direction de sa mere qui n'avait pas assiste aux
funerailles, mais qui arriva pour l'ouverture du testament. Les
dispositions prises par l'aieule confiaient sa petite-fille a son cousin
paternel Rene de Villeneuve, mais elles ne furent pas respectees. Il y eut
des scenes violentes: madame Maurice Dupin s'abandonna a des
recriminations injurieuses contre la defunte. Aurore fut revoltee. Elle
aurait voulu rentrer au couvent. Il ne s'y trouvait pas de chambre
vacante. Elle dut suivre sa mere a Paris. Cette periode de sa vie lui
laissa une impression d'amertume et de rancoeur. Entre la mere et la fille,
il se produisit une serie de froissements inoubliables qui attestaient
une veritable incompatibilite d'humeur. Madame Maurice Dupin alla jusqu'a
exhiber a Aurore des lettres de La Chatre ou de Nohant, des delations de
domestiques, qui incriminaient la conduite de la jeune fille et
cherchaient a la salir. Ce fut le comble, un debordement de desespoir et
de nausee.
De vrai, madame Maurice Dupin etait folle, ou peu s'en faut. Ses nerfs
malades la dominaient et lui faisaient commettre des insanites. Si elle
voyait Aurore lire, elle lui arrachait le volume des mains, incapable
qu'elle etait elle-meme de se livrer a une lecture serieuse. Elle ne
songeait qu'a s'attifer, a changer de toilette, a remuer; elle avait des
perruques, tour a tour blond, chatain clair, cendre et noir roux. Parfois,
elle entamait avec sa fille le chapitre de son passe et lui faisait des
confidences a tout le moins superflues.
Aussi, lorsque l'occasion s'offrit pour Aurore d'aller passer quelques
jours a la campagne,
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