parfois madame Dudevant en
croupe; car il montait a cheval, s'endormait, et l'animal s'arretait pour
brouter. Apres diner, le cure ronflait dans le salon du chateau, puis
demandait un petit air d'epinette. Sa religion etait tolerante, placide et
bourgeoise. Il ne fut pour rien dans la crise de mysticisme qui guettait
George Sand, vers la seizieme annee.
CHAPITRE III
AU COUVENT
L'education d'Aurore par les soins de sa grand'mere avait donne de
mediocres resultats: l'enfant souffrait d'etre separee de sa mere.
Deschartres, ci-devant precepteur de Maurice Dupin, n'etait pas beaucoup
plus heureux dans son enseignement. Il avait des bourrasques, des rages de
vieux pedagogue, et la main leste. Un jour, comme la fillette etait
distraite au cours de la lecon, il lui jeta a la tete un gros dictionnaire
latin. "Je crois, ecrit-elle, qu'il m'aurait tuee si je n'eusse lestement
evite le boulet en me baissant a propos. Je ne dis rien du tout, je
rassemblai mes cahiers et mes livres, je les mis dans l'armoire, et
j'allai me promener. Le lendemain, il me demanda si j'avais fini ma
version: "Non, lui dis-je, je sais assez de latin comme cela, je n'en veux
plus." Deschartres ne revint jamais sur ce sujet, et le latin fut
abandonne. On ne s'avisa que plus tard qu'il fallait completer cette
instruction faite a batons rompus. En attendant, Aurore tout enfant avait
deja ce culte de la nature qui hantera l'imagination de George Sand et
inspirera exquisement la meilleure part de ses oeuvres. Elle nous vante,
dans l'_Histoire de ma Vie_, l'automne et l'hiver, qui etaient ses saisons
les plus gaies, et proteste contre l'habitude mondaine qui "fait de Paris
le sejour des fetes dans la saison de l'annee la plus ennemie des bals,
des toilettes et de la dissipation." Elle loue les riches Anglais de
passer l'hiver dans leurs chateaux, en goutant les delices du coin du feu
et de la vie de famille. Cette passion pour la campagne s'epanche en une
jolie page de poesie descriptive:
"On s'imagine a Paris que la nature est morte pendant six mois, et
pourtant les bles poussent des l'automne, et le _pale soleil_ des hivers,
on est convenu de l'appeler comme cela, est le plus vif et le plus
brillant de l'annee. Quand il dissipe les brumes, quand il se couche dans
la pourpre etincelante des soirs de grande gelee, on a peine a soutenir
l'eclat de ses rayons. Meme dans nos contrees froides, et fort mal nommees
_temperees_, la creation ne se depou
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