, raconte George Sand. On me fit faire une
seconde communion huit jours apres, et puis on ne me reparla plus de
religion."
Pourtant la crise mystique allait atteindre cette jeune imagination,
eclose et developpee dans une atmosphere d'incredulite philosophique.
Elevee un peu a l'aventure, entre sa grand'mere, Deschartres et des
domestiques, Aurore devenait fantasque et presque revoltee. Elle refusait
de travailler et demandait obstinement a rejoindre sa mere. Madame Dupin
essaya des moyens de rigueur; l'enfant dut prendre ses repas seule, sans
que personne lui adressat la parole. Enfin la grand'mere, pour briser
cette resistance, usa d'un moyen detestable. Comme Aurore venait
s'agenouiller et implorer son pardon, elle lui dit avec secheresse:
"Restez a genoux et m'ecoutez avec attention; car ce que je vais vous dire,
vous ne l'avez jamais entendu et jamais plus vous ne l'entendrez de ma
bouche. Ce sont des choses qui ne se disent qu'une fois dans la vie, parce
qu'elles ne s'oublient pas; mais, faute de les connaitre, quand par
malheur elles existent, on perd sa vie, on se perd soi-meme." Et la
cruelle, l'impitoyable aieule etala sous les yeux de cette fillette de
treize ans les secrets de la famille; elle lui raconta le passe de son
pere, de sa mere, leur mariage tardif, sa naissance hative. Elle laissa
meme planer des doutes sur la conduite actuelle de sa bru. Et George Sand,
qui a garde de cette epouvantable confession un odieux souvenir, resume
ainsi, quarante ans apres, ses impressions ineffacables:
"Ma pauvre bonne maman, epuisee par ce long recit, hors d'elle-meme, la
voix etouffee, les yeux humides et irrites, lacha le grand mot, l'affreux
mot: ma mere etait une femme perdue, et moi un enfant aveugle qui voulait
s'elancer dans un abime."
Une telle revelation produisit sur Aurore une secousse dont elle nous a
transmis la description precise: "Ce fut pour moi comme un cauchemar;
j'avais la gorge serree; chaque parole me faisait mourir, je sentais la
sueur me couler du front, je voulais interrompre, je voulais me lever,
m'en aller, repousser avec horreur cette effroyable confidence; je ne
pouvais pas, j'etais clouee sur mes genoux, la tete brisee et courbee par
cette voix qui planait sur moi et me dessechait comme un vent d'orage. Mes
mains glacees ne tenaient plus les mains brulantes de ma grand'mere, je
crois que machinalement je les avais repoussees de mes levres avec
terreur."
Des lors, le sejour de Noha
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