eur!" Et George Sand ajoute dans l'_Histoire de ma Vie_: "Je
crois que l'Empereur entendit ces paroles naives, car il me regarda tout a
fait, et je crois voir encore une sorte de sourire flotter sur son visage
pale, dont la severite froide m'avait effrayee d'abord. Je n'oublierai
donc jamais sa figure et surtout cette expression de son regard qu'aucun
portrait n'a pu rendre. Il etait a cette epoque assez gras et bleme. Il
avait une redingote sur son uniforme, mais je ne saurais dire si elle
etait grise; il avait son chapeau a la main au moment ou je le vis, et je
fus comme magnetisee un instant par ce regard clair, si dur au premier
moment, et tout a coup si bienveillant et si doux." Elle vit egalement le
Roi de Rome dans les bras de sa nourrice, a une fenetre des Tuileries d'ou
il riait aux passants. En apercevant Aurore, dont la physionomie lui plut
sans doute, il se mit a rire davantage et jeta de son cote un gros bonbon.
Malgre les signes de la gouvernante du Roi, le factionnaire qui etait au
pied de la fenetre ne voulut pas que le bonbon fut ramasse.
De ces temps eloignes George Sand avait conserve des souvenirs tres
precis. Elle revoyait les jeux de son pere qui, a table, pour la
desappointer, feignait de vouloir manger tout le plat de vermicelle cuit
dans du lait sucre, ou qui avec sa serviette faisait des figures de moine,
de lapin ou de pantin,--distraction familiere aux mess de sous-officiers.
Cependant le bien-etre et l'aisance ne regnaient pas a la maison. Maurice
Dupin, aide de camp de Murat, en depit de ses appointements et des dons de
sa mere, se laissait endetter. On a accuse sa femme d'avoir ete
desordonnee et depensiere. L'_Histoire de ma Vie_ proteste contre ce
reproche: "Ma mere faisait elle-meme son lit, balayait l'appartement,
raccommodait ses nippes et faisait la cuisine. C'etait une femme d'une
activite et d'un courage extraordinaires. Toute sa vie, elle s'est levee
avec le jour et couchee a une heure du matin."
Le grand ami d'Aurore, en ces premieres annees d'enfance, fut un certain
Pierret, d'origine champenoise, dont George Sand s'est complu a evoquer la
physionomie. Il occupait au Tresor un emploi des plus modestes, et il
etait la seule personne que madame Maurice Dupin recut dans l'intimite, en
l'absence de son mari. Ce Pierret avait pour la fillette "la tendresse
d'un pere et les soins d'une mere". Le surplus de ses loisirs s'ecoulait
dans un estaminet du faubourg Poissonniere, a l'enseign
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