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Sa douceur n'etait pas exempte d'un certain entetement ingenu. Un jour,
par exemple, au cours de la lecon d'alphabet, elle repondit a sa mere: "Je
sais bien dire A, mais je ne sais pas dire B." Et, comme elle epelait
toutes les lettres excepte la seconde, elle donna pour unique raison de
cette resistance opiniatre: "C'est que je ne connais pas le B." Le
veritable fond de son caractere etait une propension a la reverie.
"L'imagination, a-t-elle dit, c'est toute la vie de l'enfant." Elle
proteste contre la doctrine de Jean-Jacques qui, dans l'_Emile_, veut
supprimer le merveilleux, sous pretexte de mensonge. Pour elle,
l'impression fut tres douloureuse, la premiere annee ou s'insinua dans son
esprit un doute sur la realite du pere Noel. "J'avais, ecrit-elle, cinq ou
six ans, et il me sembla que ce devait etre ma mere qui mettait le gateau
dans mon soulier. Aussi me parut-il moins beau et moins bon que les autres
fois, et j'eprouvais une sorte de regret de ne pouvoir plus croire au
petit homme a barbe blanche."
Elle eut une affection tres vive, tres persistante pour ses poupees, et de
l'horreur pour un certain polichinelle, somptueusement costume, mais qui
lui apparaissait comme un redoutable et malfaisant personnage. Plus tard
un gout analogue s'emparera d'elle, celui des marionnettes. Elle leur
elevera un theatre a Nohant et composera pour elles, en collaboration avec
son fils, de veritables comedies. Des son plus jeune age, elle aimait se
raconter a elle-meme de longues et fantastiques histoires. Sa soeur
Caroline avait ete mise en pension, sa mere etait tres occupee par les
soins du menage. Aussi, pour qu'elle prit un peu l'air, la placait-on
volontiers dans la cour, entre quatre chaises, au milieu desquelles il y
avait une chaufferette sans feu, en guise de tabouret. Aurore, ainsi
emprisonnee, employait ses loisirs a degarnir avec ses ongles la paille
des chaises, et grimpee sur la chaufferette, tandis que ses mains etaient
occupees, elle laissait errer son imagination. A haute voix elle debitait
les contes improvises que sa mere appelait des romans.
A de longs intervalles, son pere revenait entre deux campagnes. La maison
s'emplissait de bruit et de gaite. L'enfant entendait prononcer le nom et
raconter les victoires de l'Empereur. Un jour, a la promenade, elle
l'apercut. Il passait la revue des troupes sur le boulevard. Sa mere
s'ecria, toute joyeuse: "Il t'a regardee, souviens-toi de ca; ca te
portera bonh
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